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s’il a été heureux autant qu’énergique et habile, leur imprimer de son vivant une physionomie pour ainsi dire toute personnelle, qu’ils continuent le plus souvent à garder même après la mort. M. de Cavour a été l’un de ces hommes. Pour pénétrer le secret des révolutions qui ont renouvelé la face de l’Italie en 1859, comme pour se reconnaître dans le tumulte des actes désordonnés qui viennent de troubler le midi de la péninsule, il faut posséder la clé du caractère de celui qui le premier a donné le branle à tout le mouvement italien, car si le grand agitateur n’est plus, ses successeurs ont, en partie du moins, hérité de sa méthode, à peu près comme ces disciples du sorcier qui, ayant appris de leur maître à évoquer le diable, avaient oublié de lui demander la formule nécessaire pour le faire obéir et l’obliger à rentrer sous terre.

Voici heureusement deux récentes publications qui, en montrant M. de Cavour sous son véritable jour, permettent désormais de juger l’œuvre aussi bien que l’artisan. L’œuvre parlementaire du ministre piémontais vient d’être publiée, et fournit en ce sens des renseignemens précieux, quoique peut-être un peu trop officiels. Les récits et souvenirs de M. William de La Rive, justement parce qu’ils n’ont aucune prétention de ce genre, révèlent encore mieux M. de Cavour à tous ceux qui ne l’ont point personnellement connu. Admis, quoique beaucoup plus jeune, dans son plus familier commerce, M. William de La Rive a parfaitement saisi et rendu les traits originaux de la physionomie historique de son illustre parent. Ces pages faciles, écrites un peu capricieusement, mais non sans verve et sans talent, qui prennent M. de Cavour à son enfance, qui le suivent pas à pas pendant sa carrière si courte, mais si remplie, qui le conduisent jusqu’au jour de sa mort prématurée, racontée elle-même, dans ce livre de famille, avec une touchante émotion par la nièce chérie qui lui ferma les yeux, nous font connaître intimement ce grand ministre. On voit pour ainsi dire éclore sous ses yeux, se former et grandir les multiples aptitudes qui, d’un jeune sous-lieutenant retiré du service et pendant quinze années à peu près exclusivement occupé de la culture de ses terres, firent si rapidement, comme du jour au lendemain, un des politiques les plus merveilleusement doués qui furent jamais. Quel homme d’état fut en effet, par sa situation, par ses qualités, par le fond même de sa nature, mieux préparé d’avance pour la mission qui lui était destinée ici-bas ? Et lorsque l’heure fut venue de l’entreprendre, quelle ardeur, quelle hardiesse et quelle promptitude dans l’exécution ! Nul parmi les plus célèbres ne se montra plus tenace et cependant plus souple et plus délié. Sa fermeté indomptable n’était toutefois empreinte d’aucune raideur affectée ; elle était au contraire revêtue et comme voilée d’une certaine