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a ce trait commun avec toutes les autres machines à vapeur, qu’elle renferme une force produite par la vapeur d’eau et desservie par des organes. Le foyer de force, c’est la chaudière ; les organes, ce sont les mécanismes à l’aide desquels la vapeur est mesurée, distribuée et conduite. Mais l’idée spéciale de la locomotive tient à ce que le mécanisme comme la chaudière, les organes comme la force qui les met en mouvement, reposent sur un système de char qui est à la fois leur support et leur véhicule, et qui peut entraîner d’autres véhicules à sa suite. Seule jusqu’à ce moment, la locomotive s’est appropriée aux exigences des voies nouvelles. Los machines fixes ne sauraient convenir que dans des conditions topographiques tout à fait exceptionnelles, comme à l’heure qu’il est à Lyon, sur le chemin de la Croix-Rousse[1]. Il en est de même des machines pneumatiques, qui sont du reste des machines fixes d’un genre particulier. Restent les moteurs électriques : rien n’empêcherait de les mettre en circulation sur les chemins de fer, s’ils n’élevaient à des chiffres fabuleux les frais de traction. Pour que les appareils de cette espèce pussent entrer dans le domaine de la pratique, il faudrait auparavant qu’on réussît à produire l’électricité par masse à fort bas prix, résultat dont nous sommes loin et qui ne s’annonce à l’exposition sous aucune forme.

Le règne de la locomotive à vapeur ne semble donc pas menacé, du moins pour le moment. Il ne saurait du reste paraître bien ancien, même dans un siècle passionné pour le changement ou pour le progrès N’oublions pas que le type des machines fonctionnant aujourd’hui dans le nouveau comme dans l’ancien monde ne date pas encore de quarante années. L’invention de la chaudière tubulaire, sans laquelle il était impossible de construire des moteurs pourvus d’une force suffisante pour le service des routes ferrées, est constatée seulement par un brevet bien connu, délivré en France au mois de février 1828. Ce ne fut que durant les derniers mois de l’année suivante, après un concours resté fameux dans les annales des chemins de fer, qu’on vit la locomotive entrer effectivement en possession du service sur le railway de Liverpool à Manchester. Qu’est devenue cette machine construite par George Stephenson, sortie triomphante du concours et qui consacra le nouveau-système ? On l’ignore : elle aurait bien mérité, usée et hors de service, de figurer, comme un glorieux témoignage d’une grande victoire industrielle, dans les collections de Sydenham-Palace. Dût-elle y paraître teinte du sang de Huskisson, si malheureusement écrasé dans la gare le jour même de l’ouverture du chemin de Manchester, qu’elle n’en

  1. Inutile de s’occuper de la force de gravité, ou, si l’on veut, de l’effet du poids d’un train glissant par lui-même sur des rails à la descente de quelque coteau. Un tel mode ne comporte que de très rares applications.