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face des grands paysages. Les rochers, les nuages et les prairies, qui semblent inertes et insensibles aux yeux ordinaires, sont, pour les grandes sympathies, des êtres vivans et divins qui reposent de l’homme. Il n’y a point de sourire virginal aussi charmant que celui de l’aube, ni de joie plus triomphante que celle de la mer lorsque ses flots fourmillent et frissonnent à perte de vue sous la prodigue splendeur du ciel. À cet aspect, le cœur remonte involontairement vers les sentimens de l’antique légende, et le poète aperçoit dans la floraison inépuisable des choses l’âme pacifique de la grande mère par qui tout végète et se soutient. Shelley passait la plus grande partie de sa vie en plein air, surtout en bateau, d’abord sur la Tamise, puis sur le lac de Genève, puis sur l’Arno et dans les mers d’Italie. « J’aime tous les endroits déserts, disait-il, et solitaires, ceux où nous goûtons le plaisir de croire infini ce que nous voyons, infini comme nous souhaitons que notre âme le soit. Et tel était ce large océan et cette côte plus stérile que ces vagues. » Profond sentiment germanique qui, allié à des émotions païennes, a produit sa poésie, poésie panthéiste et pourtant pensive, presque grecque et pourtant anglaise, où la fantaisie joué comme une enfant folle et songeuse avec le magnifique écheveau des formes et des couleurs. Un nuage, une plante, un lever de soleil, ce sont là ses personnages ; c’étaient ceux des poètes primitifs, lorsqu’ils prenaient l’éclair pour un oiseau de flamme et les nuages pour les troupeaux du ciel. Mais quelle ardeur secrète par-delà ces splendides images, et comme on sent la chaleur de la fournaise par-delà les fantômes colorés qu’elle fait flotter sur l’horizon[1] ! Quelqu’un depuis Shakspeare et Spenser a-t-il trouvé des extases aussi tendres et aussi grandioses ? quelqu’un a-t-il peint aussi magnifiquement le nuage qui veille la nuit dans le ciel, enveloppant dans son filet l’essaim d’abeilles dorées, qui sont les étoiles, et « le Matin ensanglanté avec ses yeux de météore et ses flamboyantes ailes étendues qui saute, comme un aigle, sur la croupe de la nue voguante ? » Lisez encore ces vers sur le jardin où rêve la sensitive. Hélas ! ce sont les rêves du poète et les bienheureuses visions qui ont flotté dans son cœur, vierge jusqu’au moment où il s’est ouvert et flétri. Je m’arrêterai à temps, je, n’irai pas, comme lui, au-delà des souvenirs de son printemps.


« Le perce-neige, puis la violette, — sortaient du sol, humides de pluie tiède, — et leur haleine se mêlait aux fraîches senteurs — du gazon, comme la voix à l’instrument.

« Puis les gentianes bigarrées et les hautes tulipes, — et les narcisses,

  1. Voyez surtout tke Witch of Atlas, the Cloud,the Skylark, la fin de l’Islam, Alastor et tout Prométhée.