Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aborder. « » Le soleil est fixé, — et la magnificence infinie du ciel — fixée à la portée de tout œil humain. — L’océan, qui ne sommeille jamais, murmure pour nous tous. — La campagne, au printemps, verse une fraîche volupté dans tous les cœurs. — Les devoirs premiers brillent là-haut comme les astres. — Les tendresses qui calment, caressent et bénissent — sont éparses sous les pieds des hommes comme des fleurs. « Pareillement à la fin de toute agitation et de toute recherche apparaît la grande vérité qui est l’abrégé des autres. » La vie, la véritable vie, est l’énergie de l’amour — divin ou humain — exercée dans la peine, — dans la lutte, dans la tribulation, — et destinée, si elle a subi son épreuve et reçu sa consécration, — à passer, à travers les ombres et le silence du repos, à la joie éternelle. » Les vers soutiennent ces graves pensées de leur harmonie grave ; on dirait d’un motet qui accompagne une méditation ou une prière. Ils ressemblent à la musique grandiose et monotone de l’orgue, qui le soir, à la fin du service, roule lentement dans la demi-obscurité des arches et des piliers.

Lorsqu’une forme d’esprit arrive à la lumière, elle y arrive de toutes parts ; il n’y a point de parti où elle n’apparaisse, ni d’instincts qu’elle ne renouvelle. Elle entre en même temps dans les deux camps contraires, et semble défaire d’une main ce qu’elle a fait de l’autre main. Si c’est comme autrefois le style oratoire, on le trouve à la fois au service de la misanthropie cynique et au service de l’humanité décente, chez Swift et chez Addison. Si c’est comme aujourd’hui l’esprit philosophique, il produit à la fois des prédications conservatrices et des utopies socialistes, Wordsworth et Shelley. Celui-ci, un des plus grands poètes du siècle, fils d’un riche baronet, beau comme un ange, d’une précocité extraordinaire, doux, généreux[1], tendre, comblé de tous les dons du cœur, de l’esprit, de la naissance et de la fortune, gâta sa vie comme à plaisir, en portant dans sa conduite l’imagination enthousiaste qu’il eût dû garder pour ses vers. Dès son aurore, il eut « la vision » de la beauté et du bonheur sublimes, et la contemplation du monde idéal l’arma en guerre contre le monde réel. Ayant refusé à Éton d’être le domestique[2] des grands écoliers, « il fut traité par les élèves et par les maîtres avec une cruauté révoltante, » se laissa martyriser, refusa d’obéir, et, refoulé en lui-même parmi des lectures défendues, commença à former les rêves les plus démesurés et les plus poétiques. Il jugea la société par l’oppression qu’il subissait, et l’homme par la générosité qu’il sentait en lui-même, crut

  1. Il gagna une fois une ophthalmie à visiter des chaumières malsaines.
  2. Fag.