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cervelles rassises par l’audace et la nouveauté de leurs théories. Pour le fond des choses, on leur trouvait « les principes anti-sociaux et la sensibilité maladive de Rousseau, bref un mécontentement stérile et misanthropique contre les institutions présentes de la société. » En effet, Southey, un de leurs chefs, avait commencé par être socinien et jacobin, et l’un de ses premiers poèmes, Wal Tyler, apportait la glorification de la jacquerie passée à l’appui de la révolution présente. Un autre, Coleridge, pauvre diable et ancien dragon, la tête farcie de lectures incohérentes et de songes humanitaires, avait songé à fonder en Amérique une république communiste purgée de rois et de prêtres, puis, devenu unitaire, s’était imbu à Goettingue de théories hérétiques et mystiques sur le verbe et l’absolu. Wordsworth lui-même, le troisième et le plus tempéré, avait débuté par des vers enthousiastes contre les rois, « ces fils du limon, qui de leur sceptre voulaient arrêter la marée révolutionnaire, et que le flot montant de la liberté allait balayer et engloutir. » Mais ces colères et ces aspirations ne tenaient guère, et tous trois, au bout de quelques années, ramenés dans le giron de l’état et de l’église, se trouvaient, l’un journaliste de M. Pitt, l’autre pensionnaire du gouvernement, un troisième poète lauréat, convertis zélés, anglicans décidés et conservateurs intolérans. En matière de goût au contraire, ils avaient marché en avant sans reculer. Ils avaient rompu violemment avec la tradition, et sautaient par-dessus toute la culture classique pour aller prendre leurs modèles dans la renaissance et le moyen âge. L’un d’eux, Charles Lamb, comme M. Sainte-Beuve, avait découvert et restauré le XVIe siècle. Les dramatistes les plus incultes, Marlowe par exemple, leur paraissaient admirables, et ils allaient chercher dans les recueils de Percy et de Warton, dans les vieilles ballades nationales et dans les anciennes poésies étrangères, l’accent naïf et primitif qui avait manqué à la littérature classique, et dont la présence leur semblait la marque de la vérité et de la beauté. Par-dessus toute réforme, ils travaillaient à briser le grand style aristocratique et oratoire, tel qu’il était né de l’analyse méthodique et des convenances de cour. Ils se proposaient « d’adapter aux usages de la poésie le langage ordinaire de la conversation, tel qu’il est employé dans la moyenne et la basse classe, » et de remplacer les phrases étudiées et le vocabulaire noble par les tons naturels et les mots plébéiens. À la place de l’ancien moule, ils essayaient la stance, le sonnet, la ballade, le vers blanc, avec les rudesses et les cassures des poètes primitifs ; on reprenait ou l’on arrangeait les mètres et la diction du XIIIe et du XVIe siècle. Charles Lamb écrivait une tragédie d’archéologue qu’on eût pu croire contemporaine du règne d’Elisabeth. D’autres, comme Southey et surtout Coleridge, fabriquaient