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la paix l’a mise à l’aumône ; mais à la foire de Cunningham elle a retrouvé son brave drôle ; l’uniforme en lambeaux pendillait si splendidement autour de ses côtes ! Elle l’a repris, et « tant que des deux mains elle pourra tenir son verre ferme, elle boira à la santé de son vieux héros. » J’espère que voilà du style franc, et que le poète n’est pas petite bouche. Ses autres personnages sont du même goût, un paillasse, une luronne coupeuse de bourse, un pauvre nain racleur de boyau, un chaudronnier ambulant, tous déguenillés, braillards et bohèmes, qui s’empoignent, se rossent, s’embrassent et font trembler les vitres des éclats de leur belle humeur. « Ils vident leurs havre-sacs, ils engagent leurs guenilles, — Ils gardent tout juste de quoi couvrir leur derrière, » et leur chœur monte comme un tonnerre ébranlant les solives et les murs :


« Au diable ceux que la loi protège ! — La liberté est un glorieux festin. — Les cours ont été bâties pour les poltrons, — les églises pour plaire au prêtre.

« Qu’est-ce qu’un titre ? qu’est-ce qu’un trésor ? — qu’est-ce que le souci d’une réputation ? — Si nous menons une vie de plaisir, — peu importe où et comment !

« Avec nos tours et nos bourses plates, — nous rôdons çà et là tout le jour, — et la nuit dans la grange ou l’étable — nous embrassons nos luronnes sur le foin.

« La vie n’est qu’une casaque d’arlequin, — nous ne regardons pas comment elle va. — Allez cafarder sur le décorum, — vous qui avez des réputations à perdre.

« A la santé des bissacs, des sacoches et des besaces ! — A la santé de toute la troupe rôdante ! — A la santé de notre marmaille et de nos commères ! — Chacun et tous criez amen !

« Au diable ceux que la loi protège ! — La liberté est un glorieux festin. — Les cours ont été bâties pour les poltrons, — les églises pour plaire au prêtre. »


Quelqu’un a-t-il mieux parlé le langage des révoltés et des niveleurs ? Il y a autre chose ici pourtant que l’instinct de la destruction et l’appel aux sens, il y a la haine du cant et le retour à la nature « Moralité, dit-il quelque part, mortel poison, toi aussi tu as tué les gens par dix mille ! Grâce à toi, celui-là espère vainement qui a pris pour appui et pour guide la vérité, la justice et la pitié ! » La pitié ! ce grand mot renouvelle tout. Comme autrefois, il y a dix-huit cents ans, les hommes dépassent les formulaires et les prescriptions légales. Comme autrefois sous Virgile et Marc-Aurèle, la sensibilité raffinée et les sympathies élargies embrassent des êtres qui semblaient pour toujours relégués hors de la société et de la loi. Burns s’attendrit, et sincèrement, sur une brebis qui s’est blessée,