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des produits du sol, nous nous voyons enlever par la navigation de ces états les matières de grand encombrement que notre consommation leur demande. Ainsi, lorsque, par l’effet d’une mauvaise récolte, nous recourons à l’étranger pour compléter notre approvisionnement alimentaire, ce sont les Russes, les Américains, les Espagnols qui nous apportent les céréales. Par la même raison, ce sont les navires anglais qui importent chez nous la grande quantité de houille et de fonte que nous tirons de leur pays, les Américains qui transportent les cotons, les tabacs et les merrains que nous leur demandons. L’aliment d’une navigation active et florissante nous manque donc.

En réponse aux plaintes des représentans des ports, quelques membres du conseil supérieur ont fait observer que ce fâcheux état de notre marine marchande pouvait être attribué à ce que nos armateurs ne se bornaient pas à être transporteurs ; et y ajoutaient l’office de négociant. Comment en serait-il autrement ? Croit-on que c’est volontairement que nos maisons d’armement achètent des marchandises et les expédient, ou en font venir pour leur propre compte sur leurs navires ? Elles ne le font que parce qu’elles préfèrent, au lieu d’un voyage sans fret, courir la chance d’en gagner un en greffant sur leur armement une opération commerciale. C’est une nécessité qu’elles doivent subir, si elles s’écartent des voies battues, si leurs navires vont ailleurs qu’à la Martinique, à la Guadeloupe et à La Réunion. Ce serait bien en vain qu’à Canton, à Shang-haï, à Hongkong, à Siam, un bâtiment français demanderait une cargaison de retour pour France[1]. Il faut que le capitaine qui va dans ces parages ait dans les mains les moyens d’opérer pour compte de son armateur, sans quoi il reviendrait à vide.

On eut l’idée, il y a quelques années, qu’on réduirait les frais d’armement en les appliquant à des navires de grande capacité. On se mit alors à construire des bâtimens de 1,200, de 1,500 et même de 2,000 tonneaux. Il n’a pas fallu une longue expérience pour reconnaître que c’était une erreur. Ces grands navires sentaient plus que les autres l’absence de cargaisons et avaient en outre à vaincre des difficultés pour entrer dans nos ports et à supporter des dépenses supplémentaires de remorquage ou d’alléges. On est bien vite revenu aux bâtimens de moyenne grandeur.

De cette discussion des causes d’infériorité qui pèsent sur notre marine marchande, la plupart des représentans des ports en sont venus à conclure qu’il serait téméraire de supprimer les droits différentiels qui protègent encore notre marine marchande et de la livrer

  1. Dans ces ports, un navire anglais trouve toujours un chargement. À Siam, ouvert depuis si peu de temps au commerce européen, on compte déjà vingt maisons anglaises. Il n’en existe qu’une seule française.