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Outre les produits de leurs manufactures, dont ils approvisionnent le monde entier, les Anglais ont la houille à transporter. Les Américains ont le tabac et les merrains, mais surtout le coton, nécessaire à tous les peuples. La Suède, le Danemark, la Norvège, ont pour élément de fret les bois de construction. Ces peuples, grâce à ces matières de grand encombrement et de peu de valeur, sont donc certains d’avoir pour le voyage d’aller un chargement. Cette première partie de l’opération assurée rend la seconde plus facile. Un fret de retour, même à un prix très modéré, leur donne pour l’ensemble de l’opération une rémunération suffisante.

La France est loin d’être dans des conditions aussi favorables. Ses navires, au départ, n’ont pour fond de chargement que les vins et les spiritueux, qui ne sont pas en tout pays d’une grande consommation, et où l’on ne peut les porter que par faibles quantités. Il faut compléter les chargemens avec les articles de notre industrie, tels que les meubles, les soieries, les draps, articles qui, sous un volume restreint, représentent une somme considérable. Aussi qu’arrive-t-il ? Nos bâtimens restent trois ou quatre mois en charge dans nos ports à attendre la marchandise. Ces retards entraînent pour l’armement des surcharges de frais de toute sorte : usure du navire au mouillage, intérêt du capital, assurances, gages de l’équipage. Souvent, pour éviter ces faux frais, nos navires s’expédient à moitié vides, et même sur lest, c’est-à-dire avec du sable et des pierres[1].

Ce départ si désavantageux pèse sur tout le cours du voyage. Arrivés à leur destination, nos bâtimens se trouvent en présence de bâtimens anglais et américains qui acceptent un fret au rabais dont nos capitaines ne peuvent se contenter, obligés qu’ils sont de chercher dans le retour une compensation au déficit d’un fret d’aller[2]. Ce n’est que grâce aux droits différentiels qui frappent les importations directes par pavillon étranger que nos navires réussissent lentement à se charger et à opérer leur retour en France. Il en résulte que nous faisons deux voyages dans le temps où les Américains et les Anglais en font trois. Qu’on juge de la différence que cette circonstance doit produire dans les comptes d’armement de nos ports comparés avec ceux de nos concurrens !

Nos traités de réciprocité donnent le bénéfice de l’assimilation aux puissances avec lesquelles nous les avons signés. Or, comme la marine nationale a toujours un avantage particulier pour le transport

  1. Ce fait a été attesté par plusieurs délégués entendus dans l’enquête.
  2. Nous avons sous les yeux des prix courans qui constatent qu’à Calcutta les Anglais chargent à raison de 3 livres sterling lorsque les navires français demandent 4 livres sterling, et dans l’Amérique du Sud à 4 livres sterling pendant que nous exigeons 4 liv. sterling 1/2.