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ront à sa juste valeur le progrès dont on argumente avec tant de confiance.

Au 1er janvier 1861, nous possédions 4,367 navires jaugeant 751,059 tonneaux qui se décomposaient comme il suit :

630 navires jaugeant 66,156 tonneaux, ayant plus de 20 ans
512 53,502 de 15 à 20 ans.
506 71,103 de 12 à 15 ans.
998 162,713 de 7 à 12 ans.
1,721 397,585 de 1 à 7 ans.
4,367 navires jaugeant 751,059 tonneaux.

On comprend dès l’abord qu’à moins qu’ils ne soient promptement remplacés, les navires de quinze à plus de vingt ans, qui figurent dans ce matériel naval pour un total de 1,142, c’est-à-dire pour plus du quart, sont une véritable non-valeur. Si notre navigation était en voie de prospérité, comme on l’assure, le chiffre de cette non-valeur serait beaucoup moins considérable, et des constructions nouvelles compenseraient régulièrement tous les ans les pertes de notre matériel. Or il n’en est pas ainsi.

En 1858,1859 et 1860, la construction s’est sensiblement ralentie. Il n’est sorti des chantiers que 420 navires jaugeant seulement 79,147 tonneaux, tandis qu’en 1852, 1853 et 1854 ils nous avaient fourni 768 navires jaugeant 152,518 tonneaux, et dans la période de 1855,1856 et 1857, 1,030 navires de 255,100 tonneaux. Ces chiffres constatent l’influence de la guerre de Crimée sur le mouvement de notre navigation, car dans les trois années qui suivent cet événement, n’étant plus soutenu par les besoins accidentels qui en sont la conséquence, ce mouvement s’arrête et recule même. Les pertes et les mises hors de service pendant les années 1858, 1859 et 1860 sont de 1,469 navires jaugeant 232,960 tonneaux. Or, comme nos chantiers n’ont produit que 420 navires jaugeant 79,147 tonneaux, notre marine marchande a perdu pendant cette période triennale 1,049 navires jaugeant. 153,813 tonneaux[1].

Peut-on, après des faits si tristement significatifs, prétendre encore que notre navigation est en voie de progrès ? Mais, dira-t-on, puisque le régime de protection n’a pas eu de plus heureux effets, pourquoi ne pas essayer du régime de liberté ? À entendre poser cette question, on croirait que nous sommes encore à faire l’expérience du principe de l’égalité des pavillons. C’est cependant l’ap-

  1. Ces chiffres sont empruntés au bureau Veritas. Quelques navires n’y sont pas enregistrés, mais ils sont peu nombreux. Ce fait importe peu d’ailleurs, car les registres de ce bureau sont assez complets pour qu’ils soient le témoignage le plus irrécusable de l’état de notre marine marchande.