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de 15 à 20 kilog. de matière première dans les mains des raffineurs, qui, même sans réexportation, est libre de tous droits.

Ce bénéfice, appelons-le par son véritable nom, est une prime réelle. Cette prime, on le comprend, sera d’autant plus importante que les droits payés à l’entrée du sucre brut seront plus élevés. Aussi que feront les raffineurs ? Ils prendront de préférence pour leur travail le sucre étranger importé par pavillon étranger, puisque les droits à rembourser sont de 32 à 33 francs, plutôt que les sucres venus par navires français aux droits de 30 francs. Ainsi se trouve détournée au profit de la marine étrangère la protection que la loi avait voulu réserver au pavillon français. Cette situation est encore aggravée par d’autres circonstances. Le traitement fait à notre marine à Cuba et dans les colonies hollandaises lui ôte la possibilité de disputer à la marine de ces pays le transport des sucres que nous y achetons. Nos navires paient des droits différentiels à l’entrée et à la sortie dont les bâtimens de ces puissances sont affranchis. Pour caractériser cet état de choses, on a cité un fait bien significatif : des vins de Bordeaux ont avantage à aller à Amsterdam et à Rotterdam s’y charger pour être transportés à Java plutôt que de s’expédier de nos ports. Un armateur de Marseille a relevé les droits et frais payés par un navire français à La Havane, comparés à ceux payés par un navire espagnol. Il en résulte que le premier paie 789 piastres, et le second seulement, 410 piastres : différence en faveur du navire espagnol, 370 piastres c’est-à-dire 1,500 francs[1]. Nous avons en outre à subir à Cuba la concurrence anglaise qui, par suite de l’exemption, presque complète de droits dont jouissent les bâtimens chargés de charbon, a un voyage d’aller assuré, et peut en conséquence prendre un chargement de retour à un prix moins élevé que nous.

Le décret du 24 juin, quoique dicté par une très bonne intention, mettait donc notre marine dans l’impuissance de lutter contre le pavillon étranger pour l’importation des sucres de Cuba et de Java. Avant de faire de pareilles concessions à la Hollande et à l’Espagne, n’aurait-il pas été sage de négocier avec les gouvernemens de ces pays, afin qu’ils consentissent par réciprocité à recevoir nos bâtimens dans leurs colonies sur le même pied que le pavillon national ? Quand il s’agit de commerce, les rapports internationaux ne doivent-ils pas être basés sur l’échange et donner un avantage contre un avantage ?

Ces critiques ont soulevé une vive controverse, à laquelle plusieurs membres du conseil supérieur ont pris part. Quelques-uns ont fait

  1. Déposition de M. Deville (de Marseille).