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terribles éventualités qu’on braverait par l’adoption de la mesure proposée.

La liberté est un principe fécond en économie politique, et nous désirons vivement qu’elle étende son influence à toutes les branches de la législation commerciale ; mais il est des intérêts que l’homme d’état ne peut soumettre toujours à l’application de ce grand principe : ce sont ceux qui touchent à l’indépendance et à la puissance du pays.


ii

Le chapitre du questionnaire relatif aux équipages n’a pas soulevé d’aussi graves questions. Nous avons besoin pour manœuvrer nos navires d’un nombre d’hommes plus considérable que les principales marines étrangères. Les Américains n’emploient qu’un matelot sur 25 tonneaux, les Norvégiens, les Hanovriens, les peuples de la Baltique et de la Mer du Nord qu’un homme par 19 tonneaux, l’Angleterre et la Hollande un homme par 15 et 16 tonneaux, tandis que nos équipages sont formés sur la base d’un homme par 12 tonneaux[1]. Ce n’est pas l’insuffisance des forces physiques de nos marins qui occasionne cette surcharge de bras. Voici comment la chambre de commerce de Morlaix l’explique :


« Avec plus de développement de gréement, une mâture plus élevée, plus de vergues et plus de surface de voilure, nos navires exigent plus de bras que les navires étrangers.

« À l’époque encore peu ancienne où la France commençait à devenir une puissance navale, la marine de l’état empruntait à celle du commerce des navires qui, après avoir reçu un emploi et une sorte d’armement de guerre, revenaient à leur première destination, pour être plus tard nolisés encore une fois par le gouvernement. De là sont nés le penchant et l’habitude contractés par nos capitaines d’imiter ou même de continuer dans le travail du matelotage et dans l’établissement de leur gréement le type que leur offraient, comme par prévision, les navires de l’état, et qui, pour la plupart d’entre eux, était devenu en quelque façon usuel.

« Au surplus, il était fort naturel que le fait que nous venons de remarquer se produisît en France. Chez les peuples où la marine militaire prédomine, c’est la marine marchande qui l’imite, et le contraire doit avoir lieu lorsque, comme chez les Américains, c’est la marine marchande qui règne. »


Le remède à cet état de choses est à la disposition de nos armateurs et de nos capitaines, qui doivent réagir contre ces vieilles

  1. Nous puisons ce renseignement dans un rapport très curieux de M. de Bois-le-Comte sur le commerce et la marine de la Hollande. (Ministère des affaires étrangères.)