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L’enquête ouverte en ce moment devant notre conseil supérieur du commerce embrasse un intérêt de premier ordre, celui de la marine marchande du pays. Devons-nous au régime de protection substituer le régime de liberté ? Devons-nous admettre le pavillon étranger à disputer à conditions égales à notre marine nationale le transport des marchandises et des denrées nécessaires à notre commerce et à notre industrie ? Quels seront les effets d’un si grand changement sur notre matériel naval, sur nos relations commerciales, sur notre puissance maritime ? Rarement un problème plus grand et plus compliqué a été soumis à l’examen et à la controverse du public.

Avant d’entrer dans ce débat, résumons les dispositions qui faisaient, il n’y a pas deux ans encore, le fond de notre législation sur la marine marchande. Cette législation réservait d’une manière absolue le cabotage au pavillon français, tant à l’importation qu’à l’exportation[1]. — Elle excluait la marine étrangère du commerce de la France avec ses colonies. — Elle frappait de droits différentiels, c’est-à-dire d’une surtaxe, les marchandises et denrées importées directement des lieux de production par navires étrangers. — Elle surchargeait aussi d’un droit différentiel les importations venant des entrepôts d’Europe, afin de provoquer les voyages lointains. — Enfin elle accordait des primes à la pêche, industrie jugée nécessaire à l’éducation de nos matelots. — N’oublions pas de mentionner qu’outre ces mesures, qui écartaient et rendaient impossible toute concurrence étrangère, un droit de 3 fr. 75 cent. par tonneau de jauge frappe le navire qui n’est pas couvert du pavillon national[2].

Ces dispositions combinaient les trois modes les plus puissans du système protecteur : la prohibition, la faveur et la subvention.

Ce régime n’est pas d’origine française ; nous l’avons emprunté aux Anglais. Il se trouve en germe dans l’acte de navigation de 1651, conçu par le génie de Cromwell dans le dessein d’enlever aux Hollandais, appelés les rouliers des mers, le transport maritime dont ils avaient le monopole. Depuis, ce système, constamment fortifié par l’esprit de restriction qui en forme le principe, a puissamment contribué à fonder la prépondérance navale de l’Angleterre. Est-ce la législation dont nous venons d’indiquer les traits principaux qui est soumise à l’enquête ? Est-ce sur les modifications qu’elle doit

  1. La marine marchande espagnole seule peut faire le cabotage par suite du traité dit pacte de famille.
  2. Loi du 28 avril 1816.