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malheureuse province à la Turquie, comme à un gouvernement capable de l’administrer, que faisait l’Angleterre ? Elle restaurait en Syrie l’anarchie d’abord, et après l’anarchie les horribles massacres qui ont épouvanté le monde. Erreur innocente de notre côté, et qui n’a nui qu’à nous ; erreur fatale du côté de l’Angleterre, et qui a eu les plus affreuses conséquences ! Et quand je parle avec amertume de cette erreur syrienne de l’Angleterre, c’est que je ne puis pas oublier que si, en 1840, l’Angleterre a voulu que la Syrie fût rendue aux Turcs, si elle a pour cela coalisé un instant l’Europe contre nous, elle a fait de même en 1861. En 1861 comme en 1840, l’Angleterre a voulu que la Syrie fût rendue aux Turcs, elle n’a pas pu consentir à voir nos soldats veiller quelques mois de plus pour le salut de nos frères chrétiens, et tout cela, a-t-elle dit en 1861 comme en 1840, pour conserver l’intégrité de l’empire ottoman !

Continuons la conversation du 4 mars 1840 entre lord Palmerston et M. Guizot. « Vous avez, me dit lord Palmerston, trop mauvaise opinion de l’empire ottoman ;… un état qui est un cadavre, un corps sans âme et qui tombe en lambeaux, ce sont là des figures auxquelles il ne faut pas croire. Qu’un état malade retrouve des territoires pour y lever de l’argent et des hommes, qu’il remette de la régularité dans son administration, il se guérira, il redeviendra fort. C’est ce qui arrive déjà en Turquie. Le hatti-cherif de Rechid-Pacha s’exécute ; ses bons effets se développent. » Que dites-vous, à vingt-deux ans de distance, de cette confiance de lord Palmerston dans le hatti-chérif de Rechid-Pacha ? Et depuis celui-là combien d’autres hatti-cherif et d’autres hat-humayoun ont promis à l’Angleterre la résurrection de la Turquie ! Que de décrets impuissans ! que de prospectus illusoires ! Ah ! quand je vois la confiance de l’Angleterre ou celle de lord Palmerston s’attacher ainsi tour à tour à je ne sais combien de morceaux de papier effrontés, je me laisse aller à croire ceux qui disent que l’Angleterre n’est pas plus dupe que nous des projets de bonne vie et mœurs que la Turquie adresse de temps en temps à l’Europe. Elle sait aussi bien que personne la décrépitude irrémédiable de l’empire ottoman ; mais cette décrépitude lui est commode. Elle stérilise l’Orient, et l’Angleterre de lord Palmerston croit, bien à tort selon moi que la renaissance agricole, commerciale, industrielle, politique et navale de l’Orient serait nuisible au commerce, à l’industrie, à l’ascendant maritime de l’Angleterre. Voyez, disent les mêmes personnes, voyez la mauvaise humeur qu’elle a toujours témoignée à la Grèce. Que peut craindre de la faible et petite Grèce la grande et puissante Angleterre ? Mais quoi ? Il y a là un petit coin de l’Orient qui vit et qui agit : ce petit coin de vie déplaît à l’Angleterre.

Ce qui peut accréditer cette opinion, c’est que partout où l’Orient