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M. Guizot rompit sans hésiter en visière avec M. Thiers. Ici, je l’avoue, je me trouve fort embarrassé. Si je me reporte en arrière par mes souvenirs, je trouve que M. Guizot, en refusant son adhésion à la présidence de M. Barrot, répondait à la pensée générale du parti conservateur. Si je juge les choses telles que je les vois aujourd’hui, j’ai peine à comprendre comment M. Barrot pouvait être un épouvantail pour la majorité de la chambre et pour M. Guizot. Malheureusement c’est le défaut des institutions et des assemblées parlementaires de créer aux hommes et aux partis des cadres factices, mais insurmontables à certains momens. On croit avoir des périls qui ne sont qu’imaginaires. Il est difficile alors de retrouver la réalité des choses et des hommes, parce qu’elle est profondément couverte sous des apparences et des vraisemblances. Il n’y a que le temps qui montre la vraie réalité et qui enseigne qu’entre M. Barrot, la gauche dynastique et le parti conservateur il n’y avait que des routines de luttes et de controverses qui cachaient des conformités réelles de sentimens et d’opinions.

On voit que je ne diminue pas la part que la rivalité des personnes et des partis a eue dans la rupture qui s’est faite en 1840 entre M. Thiers et M. Guizot. N’allons pas croire cependant que cette rupture n’ait pas eu ses causes politiques.

La guerre en France, depuis 1814 jusqu’en 1854, n’était pas seulement un grand acte national, c’était une doctrine et un système. Expliquons-nous : il y a deux sortes de guerres dans le monde, les guerres révolutionnaires et les guerres politiques. Or les guerres politiques n’étaient malheureusement plus à l’usage de la France depuis 1792. Elle ne connaissait que les guerres révolutionnaires, c’est-à-dire celles où elle avait toute l’Europe à combattre. Les guerres même de l’empire avaient été des défis révolutionnaires jetés par un seul homme à l’Europe, et toutes les fois que, sous la restauration et sous la monarchie de 1830, il s’était agi de guerre, ce caractère révolutionnaire de la guerre avait aussitôt éclaté. Ce que les partis violens de 1831 et 1832 voulaient imposer à la monarchie de 1830, c’était la guerre révolutionnaire, c’était le défi jeté à l’Europe. La restauration dans l’expédition d’Espagne, de Grèce et d’Alger, la monarchie de 1830 dans l’expédition d’Anvers et d’Ancône, dans la conquête de l’Algérie, avaient essayé de faire des guerres politiques et y avaient réussi ; mais c’étaient de petites guerres, et l’expérience de la guerre politique n’avait pas encore été faite en grand. La guerre de Crimée a été la première expérience de ce genre faite en grand et faite heureusement. La guerre d’Italie, si elle n’avait pas été interrompue par la paix de Villafranca, pouvait redevenir la guerre révolutionnaire.

Le grand mérite de la guerre politique a été de rompre du même