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interprètes de la politique, le ministère présidé par le maréchal Soult en 1839, M. Thiers, M. Guizot, M. de Lamartine ; personne n’avait d’engouement pour le pacha d’Égypte. Le ministère du maréchal Soult avait de la mauvaise humeur contre la victoire de Nézib et les embarras que lui avait causés cette victoire de l’Égypte. M. Thiers, dans son discours du 13 janvier 1840 (il n’était pas encore ministre), recommandait par-dessus tout l’alliance de l’Angleterre, c’est-à-dire de la puissance la plus opposée aux projets du pacha d’Égypte. M. Guizot, ambassadeur de France à Londres, se défiait beaucoup de la puissance que nous attribuions à l’Égypte et la croyait plus ambitieuse que forte. Comment donc avec tant de motifs de ne pas céder à l’engouement populaire pour l’Égypte, comment donc nous sommes-nous laissés aller à soutenir jusqu’à l’excès la cause du pacha d’Égypte ? Comment le traité du 15 juillet 1840 a-t-il été fait contre nous ? Comment enfin avons-nous été séparés pendant quelque temps du concert européen dans le règlement des affaires d’Orient, et cela comme trop égyptiens, et cela par l’Angleterre et sous le ministère de M. Thiers, le plus résolu partisan de l’alliance anglaise ? Ici nous arrivons aux négociations du traité de 1840, et nous prenons naturellement pour guide le cinquième volume des Mémoires de M. Guizot, dans lequel ces négociations sont racontées de la manière à la fois la plus éloquente, la plus piquante et, j’ose dire aussi, la plus impartiale.


II

Dès le commencement de ces négociations et dès son arrivée à Londres comme ambassadeur, M. Guizot expose admirablement les difficultés de la politique française en Orient. « La politique du cabinet présidé par M. le maréchal Soult en 1839 reposait, dit-il, sur une triple confiance. On comptait fermement à Paris sur la persévérance de Méhémet-Ali dans ses prétentions à la possession héréditaire de la Syrie et sur son énergie à les soutenir, s’il était attaqué. On regardait les moyens de coaction qui pouvaient être employés contre lui comme absolument inefficaces et vains, ou comme gravement compromettans pour la sûreté de l’empire ottoman et la paix de l’Europe. Enfin on ne croyait pas que la Russie consentît jamais à abandonner effectivement son protectorat exclusif ou du moins prépondérant à Constantinople. Fort de toutes ces confiances, le cabinet français se prêtait volontiers à la vive pression de l’opinion publique en faveur du pacha d’Égypte, et ne sentait aucune impérieuse nécessité d’y résister[1]. »

  1. Mémoires de M. Guizot, tome V, page 29.