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deux ans, si l’on pense qu’il est absolument libre de rester ignorant, et que c’est par le fait de sa seule volonté qu’il cherche à s’instruire. Si rien ne vient mettre obstacle à ce beau mouvement de régénération, avant cinq ans tous les enfans de Naples iront à l’école, et nul n’osera plus échapper à l’instruction élémentaire. Si à ces écoles on peut ajouter le système de lectures si admirablement pratiqué en Angleterre, l’intelligence naturelle des Napolitains aidant, on arrivera à des résultats extraordinaires, et l’on amènera incontestablement la fin de bien des crimes et de bien des superstitions.

L’ignorance et la superstition vont de pair, s’aidant mutuellement comme l’aveugle et le paralytique, et se fortifiant l’une par l’autre ; quand la première sera éteinte, la seconde n’aura plus longtemps à vivre. Cependant des aujourd’hui il faut combattre cette dernière, mais la combattre par la parole, par le raisonnement, par la douceur. On ne doit pas trop en vouloir à ce peuple de vivre encore sous l’empire de superstitions qui, chez nous, feraient rire des enfans de cinq ans, car sous beaucoup de rapports il n’est lui-même qu’un grand enfant ; il a été si longtemps dirigé par un système politique qui croyait avoir intérêt à lui conserver toutes ses erreurs, qu’il n’est pas surprenant de le voir encore profondément imbu d’idées qu’il répudiera peu à peu. De plus, la superstition peut être considérée chez lui comme une de ces maladies héréditaires qui se transmettent fatalement de génération en génération. Le paganisme lui a légué toutes ses habitudes, que le catholicisme a exploitées à son profit en se les appropriant ; il suffit d’avoir vu les images protectrices placées dans les maisons, et devant lesquelles brûle une lampe perpétuelle, pour comprendre que c’est là une réminiscence des dieux lares. La croyance à la jettatura est une tradition antique[1] ; il en est de même de l’idée du patron, du saint particulier de chaque ville et de chaque village substituée à l’idée générale de Dieu, qui n’existe réellement pas dans les provinces napolitaines ; on prie saint Janvier ou saint Antoine, on leur fait des vœux, mais jamais la pensée de prier Dieu seul, Dieu abstrait, pour ainsi dire, ne viendra à un Napolitain. Le peuple entier est comme imprégné de croyances puériles, qui lui sont transmises de père en fils, et qui semblent inhérentes au pays qu’il habite. J’ai vu cette année même, le 9 juin, au village de Ponogliano d’Arco, à quelques lieues de Naples, dans une église si remplie d’ex-voto que les murs en disparaissent, des hommes et des femmes se traîner devant une prétendue image miraculeuse de la Vierge, en léchant le pavé avec leur

  1. Les voyageurs qui ont remarqué l’étrange appendice de cuivre qui surmonte le collier des chevaux de charrettes y ont reconnu sans doute un souvenir affaibli et légèrement modifié des images obscènes qui, dans les temps anciens, passaient pour protéger contre le mauvais œil.