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devenu lumineux qu’avec le temps. C’est dans cette pensée que je veux examiner l’histoire des négociations du traité du 15 juillet 1840 et montrer ce qui reste de ce traité, les effets qu’il a produits, en quoi il a répondu aux vues politiques de ses auteurs, en quoi il les a trompées. Vingt-deux ans se sont écoulés depuis ce traité de 1840, et ces vingt-deux ans l’ont jugé mieux que ne pouvaient le faire les contemporains.

J’exprime dès le commencement, et sans aucune précaution oratoire, la conclusion à laquelle m’a conduit l’examen des événemens qui, en 1840 et depuis 1840, se sont accomplis en Orient. Dans ce traité, toutes les erreurs du présent, c’est-à-dire de 1840, ont été du côté de la France, et toutes les erreurs de l’avenir, c’est-à-dire de 1840 à 1862, ont été du côté de l’Angleterre. En 1840, les événemens ont donné raison à lord Palmerston contre M. Thiers et contre M. Guizot (on verra plus tard pourquoi, en Orient du moins, je ne sépare pas la politique de M. Thiers de celle de M. Guizot). En 1862, la France a raison contre lord Palmerston. J’explique d’un mot cette conclusion. Le traité de 1840 devait, dans la pensée de ses auteurs, produire deux effets : il devait détruire ou affaiblir l’Égypte ; c’est par là qu’il contrariait les intérêts ou les illusions de la France, c’est par là qu’il a réussi. Il devait d’un autre côté restaurer l’empire ottoman : c’était là le principe et l’espoir de l’Angleterre ; c’est par là que le traité de 1840 a complètement échoué. L’empire ottoman n’est pas plus fort en 1862 qu’en 1840 ; il a seulement vingt uns de plus sur la tête, et sa difficulté d’être a augmenté. Lord Palmerston a affaibli et énervé l’Égypte, avantage peut-être pour les possessions de l’Inde ; il n’a pas rétabli l’empire ottoman, il ne lui a pas rendu la vitalité : grand échec pour la politique anglaise. Je ne sais pas si la faiblesse irrémédiable de l’empire ottoman est contraire aux intérêts de la politique anglaise en Orient ; mais elle est assurément contraire à toutes les paroles et à toutes les prophéties de lord Palmerston. Depuis vingt ans et plus, j’entends sans cesse cet homme d’état dire que le malade va mieux ; depuis vingt ans et plus, je lis des bulletins de cette convalescence qui n’aboutit jamais à une guérison. Je sais bien que les convalescences qui ne finissent ni par la mort ni par la santé sont la fortune et la joie des gardes-malades, et que l’Angleterre a pris ce rôle auprès de la Turquie. Je connais dans le monde une garde-malade qui depuis trente ans bientôt jouit des cent mille livres de rente d’un infirme incurable ; elle n’hérite pas, mais elle possède.

Voyons d’abord quelles furent en 1840 les erreurs de la France dans le présent ; nous verrons ensuite quelles furent pour l’avenir les erreurs de l’Angleterre.