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naturellement exigées peut ouvrir une école. On s’est hâté d’établir des écoles primaires, des écoles normales pour les deux sexes ; on a fait appel aux communes pour les engager à faire distribuer l’instruction aux enfans, en attendant que le parlement italien vote la loi d’instruction obligatoire, loi indispensable dans un état libre, corollaire obligé du suffrage universel, loi complémentaire sans laquelle ce dernier n’est bien souvent qu’un droit et une puissance dérisoires. Solennellement, le 23 novembre 1861, on a rouvert l’université de Naples, dont un rescrit royal de 1849 avait éloigné le plus grand nombre des élèves ; dès le second jour, le chiffre des inscriptions d’étudians s’élevait à plus de dix mille. L’enseignement y est libre et très attentivement suivi ; les étudians n’entendent pas raillerie au sujet des négligences dont leurs maîtres peuvent se rendre coupables. Quelques professeurs, se souvenant trop du passé, ne firent pas leurs cours avec toute la régularité qu’on aurait pu désirer ; il y eut une véritable émeute. Les étudians sont d’une assiduité touchante ; on dirait que ces jeunes gens, si longtemps tenus dans une obscurité systématique, poussent tous le cri de Goethe mourant : « De la lumière ! de la lumière ! encore plus de lumière ! » Dans cette université de Naples, qui était autrefois despotiquement dirigée par les prêtres, on professe à cette heure la philosophie hégélienne ; or chacun sait que Strauss, l’auteur de la Vie de Jésus, est disciple d’Hegel.

Loin de regimber contre des mesures qu’au premier abord il aurait pu trouver extraordinaires, le peuple de Naples est venu en aide au gouvernement. Comprenant qu’on ne pouvait raisonnablement exiger du cabinet de Turin qu’il créât d’un seul coup un système administratif complet d’instruction générale, voyant qu’avec sagesse on avait couru tout de suite au plus pressé, c’est-à-dire aux enfans, et qu’on n’avait pas encore eu le loisir de s’occuper des adultes, il a fondé pour lui-même et par lui-même des écoles d’enseignement mutuel où il va apprendre à lire et à écrire le soir, quand il a terminé ses travaux de la journée. On me l’avait dit, je ne l’avais pas cru : malgré moi, je me reportais aux époques de la dynastie des Bourbons ; je me rappelais ce peuple indolent, qui ne demandait rien que le pain quotidien et un peu d’ombre pour dormir. Je ne pouvais me figurer que dix-huit mois de liberté eussent ainsi modifié ses instincts. J’avoue avec joie que je m’étais trompé. Dans les quartiers pauvres de Naples, vers Sainte-Lucie et Piedigrotta, j’ai vu dans de grandes chambres deux ou trois cents popolani en guenilles, pieds nus, réunis et attentifs autour de l’un d’eux qui leur apprenait à lire et disait : « Croix de Jésus : a, b, c, d. » Il n’existe encore que deux ou trois de ces écoles ; c’est peu, me dira-t-on. C’est énorme, si l’on songe à ce qu’était ce peuple il n’y a que