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III

Le gouvernement de Victor-Emmanuel, à son avènement, trouva l’instruction publique dans un état déplorable, et il eût été plus facile peut-être de la créer que de la réformer. « L’instruction a pénétré à Rome et dans l’Italie méridionale depuis 1815. À cette date, le gouvernement autrichien a persuadé à la cour de Rome que les idées révolutionnaires et le progrès sont choses inséparables, et il a proposé l’ignorance comme correctif[1]. » Ce qui est vrai pour Rome le fut pour Naples et ses provinces ; l’ignorance devint un dogme et l’instruction un crime. Tout homme qui fut convaincu de posséder une bibliothèque (et Dieu sait quelles restrictions on apportait à la publication et à l’introduction des livres dans l’ancien royaume des Deux-Siciles !) fut signalé à la surveillance de la police et rangé dans la catégorie des attendibili (suspects). Le clergé était seul maître absolu en matière d’instruction[2]. Un instant on put croire que, comprenant enfin que l’instruction est un des besoins les plus impérieux de l’esprit humain, le gouvernement allait changer de système ; par un rescrit du 10 février 1843, il ordonna la création de trois universités auxiliaires de celle de Naples ; c’était dans les provinces des Abruzzes, de Pouille et des Calabres qu’on devait les établir. Aucune université nouvelle cependant ne fut créée ; mais on s’appuya sur le rescrit pour retenir les étudians dans leurs provinces et pour les éloigner absolument de Naples, où l’on craignait de les réunir, car si l’ignorance rassurait cet étrange gouvernement, la jeunesse lui faisait peur. Un seul fait, qui a l’irrécusable éloquence des chiffres, prouvera ce que valait l’instruction napolitaine sous la dynastie des Bourbons ; l’instruction publique, pour tout le royaume des Deux-Siciles (10 millions d’habitans), était portée au budget pour la somme de 1,500,000 francs, somme énorme et exagérée cependant, si l’on songe aux résultats presque négatifs ainsi obtenus ; aujourd’hui, sous le gouvernement de Victor-Emmanuel, qui n’a encore pris que des mesures provisoires, l’instruction publique coûte déjà plus de 10 millions de francs pour les seules provinces méridionales. Sans être retirée des mains du clergé, l’instruction a été déclarée libre ; tout particulier remplissant les conditions de moralité

  1. Dépêche de sir John Hudson.
  2. La surveillance de police exercée sur les élèves était si sévère qu’il leur était ordonné d’être rentrés chez eux à neuf heures du soir ; les élèves ne suivaient pas les cours, car les professeurs se dispensaient de les faire. Le local de l’université était une vaste maison vide ; on n’en obtenait pas moins à prix d’argent ou par protection le diplôme dont on avait besoin pour exercer la carrière dont on n’avait pas fait l’apprentissage.