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reste leur était moins profitable que leur agitation passée, et tous, sans exception, ils reprirent la clé des champs et la vie d’aventures qu’ils avaient menée jusqu’alors. Aujourd’hui la camorra, aussi forte, aussi bien organisée qu’autrefois, continue à rançonner la population napolitaine, et inspire assez de crainte pour qu’on n’ait point encore osé porter la main sur elle. C’est encore là une des plaies particulières à Naples, et il serait possible, sinon facile, de la guérir. Lorsque les graves préoccupations qui absorbent actuellement toutes les pensées et toutes les heures du gouvernement de Turin auront cessé, une forte organisation sera donnée aux provinces napolitaines, et il n’est point douteux alors qu’on n’entreprenne par les moyens légaux la destruction de cette association dangereuse et préjudiciable au petit commerce. Le magistrat ou l’officier public qui se chargera de cette tâche pourra courir quelques dangers, mais il sera certain d’être approuvé par tous les honnêtes gens et d’avoir l’appui de la garde nationale de Naples, qui, par son dévouement, sa conduite irréprochable, est une des plus grandes forces morales qu’on puisse invoquer. Peut-être même aurait-on déjà essayé de remédier à cet abus et à bien d’autres, s’il y avait un accord plus parfait entre les hommes de Turin et ceux de Naples. Les ordres, les conseils, les propositions envoyés par le cabinet du roi d’Italie sont trop souvent discutés par les magistrats municipaux de Naples, et parfois les meilleures mesures sont ajournées. Ce n’est pas que la sympathie fasse défaut entre les Piémontais et les Napolitains, mais la différence des caractères est telle qu’elle amène souvent des malentendus regrettables. Il n’est pas de peuple plus honnête que les Piémontais ; ils sont braves et fermes jusqu’à l’entêtement, et quelquefois même ils affectent une certaine raideur[1]. Le Napolitain au contraire est la pétulance même, on n’est pas plus spirituel, plus moqueur, plus rapide à voir le côté faible des choses ; le Napolitain est avocassier, discuteur, il est par malheur hésitant, s’accommode assez du provisoire, craignant d’avoir à regretter le définitif, et remet de jour en jour à prendre une décision. Le Piémontais est l’homme de la réflexion, le Napolitain celui de l’imprévu. Il n’est point surprenant qu’avec de si profondes divergences dans les caractères on n’ait pas toujours marché d’ensemble vers le but qu’on se proposait d’atteindre, et cependant il faut dire que Naples n’a point demandé une amélioration sérieuse sans qu’aussitôt le cabinet de Turin se soit empressé de l’accorder : les réformes accomplies dans l’instruction publique vont prouver ce que j’avance.

  1. « Ils sont pédans, » disent d’eux les autres Italiens. Ce mot, dans une telle acception, n’a guère d’équivalent en français.