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padrona de Pergolèse, Piccinni écrivit à Rome, en 1740, la Cecchina, opéra bouffe dont le succès fut un des plus grands que mentionne l’histoire de la musique dramatique. La Cecchina marque un grand progrès dans le style et le genre de l’opéra bouffe, qui reçoit de Paisiello, de Guglielmi, mais surtout de Cimarosa, son dernier développement à la fin du XVIIIe siècle. Rossini, avec un coloris et des engins que n’avaient pas ses prédécesseurs, imprime à l’opéra bouffe le cachet de son génie, et il en fait l’expression de l’alacrité, du brio et de la désinvolture bruyante de la comédie moderne. Ainsi donc, dans l’espace de cent ans tout au plus, depuis la Serva padrona jusqu’à la Cecchina de Piccinni, du Matrimonio segreto de Cimarosa au Barbiere di Swiglia, qui est de l’année 1816, l’Italie crée et perfectionne le genre le plus difficile de la musique de théâtre, l’opéra buffa, où elle est restée inimitable.

Il serait curieux de suivre dans l’histoire du théâtre les tentatives qui ont été faites pour exprimer la gaîté en musique et pour arriver à constituer le genre particulier et si difficile de la comédie lyrique. On ne tarderait pas à être convaincu que les Grecs et les Romains et tous les peuples de l’antiquité ont complètement ignoré qu’il fût possible de rendre avec des rhythmes et des sons autre chose qu’une noble exaltation de l’âme, un délire religieux ou une fiévreuse ivresse. Parmi les peuples modernes, il n’y a que les Italiens et les Français qui sachent vraiment exprimer la gaîté en musique, et qui possèdent au théâtre une comédie lyrique. Les chants populaires de l’Espagne, de l’Ecosse, de l’Irlande, de la Suède, de la Russie, de la Pologne, de la Hongrie, si originaux et si piquans au point de vue du rhythme et de l’accent mélodique, ne sont l’écho que d’une vague disposition de l’âme : la mélancolie et une douce langueur ; mais le rire, qui est à la fois le signe universel et humain de la joie de l’âme et la marque particulière d’un aperçu de l’esprit, d’un jugement rapide de la raison, le rire social et critique, n’a été exprimé en musique que par les Italiens et les Français. Je sais bien qu’on pourrait répondre que les Allemands ont des opéras-comiques, et que le Nozze di Figaro, l’Enlèvement au Sérail et Cosi fan tulle, de Mozart, sont des chefs-d’œuvre pleins de grâce, de brio et d’une exquise gaîté. C’est vrai, et ce n’est pas moi qui médirai jamais du génie suprême de Mozart ; mais le rire de Mozart est un sourire angélique, et n’a rien de commun avec la raillerie sociale et la verve satirique de Beaumarchais et de Rossini. Encore une fois, il n’y a que les Italiens et les Français qui aient su exprimer la gaîté en musique et qui possèdent une comédie lyrique[1].

Je ne puis mieux terminer ces courtes réflexions qu’en faisant remarquer une heureuse combinaison du sort : l’auteur de la Servante maîtresse est né à quelques lieues de la ville de Pesaro, où s’est épanoui l’enfant merveilleux qui a fait il Barbiere di Siviglia, et qui, à l’heure où je trace ces lignes, promène ses loisirs beati sous les ombrages de Passy.


P. SCUDO.

  1. Qu’on me permette de faire ici un aveu. Il y a vingt-cinq ans au moins que j’ai osé publier un opuscule sur cette question, la Philosophie du rire. Quel a été mon étonnement de trouver un jour ce petit livre in-18 de trois cents pages cité avec honneur par un grave philosophe allemand !