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du pouvoir suprême et celle du monde financier ne peuvent pas être séparées : la mésintelligence et l’isolement les tueraient l’un et l’autre. Réunis et agissant d’ensemble, ils ont une ampleur de ressources qui suffirait, à défaut d’autres raisons, pour assurer leur triomphe définitif. Commençons donc par étudier le mécanisme de ces banques américaines, sur le compte desquelles tant de préjugés existent chez nous.

Le public français en général est disposé à croire que la liberté des banques est illimitée aux États-Unis, et que le pouvoir d’y battre monnaie y est exercé sans frein ni mesure par d’audacieux spéculateurs. C’est une erreur. Il est vrai seulement qu’il n’y a pas de monopole exclusif pour l’émission des papiers fiduciaires. On y peut multiplier sans beaucoup d’obstacles les bureaux d’escompte et de circulation, et c’est ainsi que l’on y comptait en mars 1861, précisément aux jours où le déchirement a eu lieu, seize cent cinquante-six banques avec un capital nominal de 2,193,311,590 fr.[1], auxquelles il faut ajouter sept cent cinquante maisons particulières, souvent aussi puissantes que des compagnies. Toutefois la fondation et le régime de ces établissemens sont soumis par les autorités locales à des servitudes administratives qui varient d’état à état, de ville à ville. Il y a des contrées, comme le Rhode-Island, où l’indépendance des compagnies est presque sans limite, et ce sont celles où les désordres se produisent le moins. Il y a aussi des localités, surtout vers le sud, où la réglementation se complique au point de devenir oppressive. Il n’est donc pas exact de dire d’une manière absolue que la liberté des banques existe aux États-Unis. Là, aussi bien qu’en Europe, l’autorité publique a la prétention d’intervenir pour mettre un frein à la licence. Là aussi, elle croit devoir substituer ses propres lumières à la vigilance des intérêts privés. Si je faisais ici une étude théorique sur les banques, je démontrerais aisément que cette intervention administrative a été souvent la cause du mal dont on a rendu la liberté responsable.

Entre les divers types de banque usités dans l’Union américaine, le système qu’il importe de faire connaître en ce moment est d’abord celui de New-York, parce que la législation new-yorkaise, supérieure aux autres à beaucoup d’égards, tend à dominer dans les autres états, et ensuite parce crue New-York est dans le conflit actuel la grande place de guerre où se trempent pour le combat l’opinion et les armes.

Après la crise désastreuse de 1838, pendant laquelle quatre cent cinquante banques sur neuf cents suspendirent leurs paiemens ou tombèrent en faillite, il y eut en Amérique un soulèvement d’opinion

  1. Tous les comptes seront exprimés dans ce travail en monnaie française, au change de 5 francs le dollar, ce qui permet de rétablir aisément les chiffres américains.