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ce que nous n’avions pas, ne se vanter que de ce que nous avions, et par exemple ne pas admettre qu’une des notices qui se vendent à la porte de l’exposition désignât sous ces mots : la fameuse coupe de Cumes, une pièce de dimension moyenne, trouvée à Cumes en effet et jusqu’à un certain point décorée dans le même goût que le grand vase dont nous venons de parler, mais sans qu’il en résulte entre les deux objets une sérieuse ressemblance. D’abord la couverte noire n’a jamais existé sur la coupe : le fond, les parties lisses portent des traces de peinture bleue, laquelle, ainsi que la dorure des ornemens et des figures, est presque totalement rongée ; et quant à la décoration en relief, elle est sans doute, dans cet échantillon de la poterie de Cumes encore plus riche que dans les autres, mais aussi plus chargée, d’un goût moins pur, les figurines sont d’un style moins sévère, d’une exécution plus lâchée ; en un mot, cette coupe, bien que d’un très grand prix et d’une vraie magnificence, n’a pas droit à l’excès d’honneur qu’on veut lui décerner. Le seul morceau de céramique provenant des fouilles de Cumes qui soit vraiment fameux par excellence, et qu’on puisse désigner ainsi, c’est le grand vase qui n’est pas à Paris. N’insistons pas sur cette appellation fautive : ce n’est qu’un détail, un simple indice du diapason qu’on a choisi.

Au reste, notre coupe de Cumes, fameuse ou non, couronne une vitrine qui renferme de vrais trésors aussi bien pour l’artiste que pour l’archéologue. C’est la partie fantastique et grotesque de la céramique antique. Cet art italo-grec, si attentif, en fabriquant ses vases, presque toujours si simples, à subordonner le caprice au bon goût et à la raison, se permettait parfois de charmantes débauches. C’était le vase à boire et le vase à parfums qui lui inspiraient ces licences. Pour plaire aux voluptueux et aux buveurs, il feignait d’oublier la raison, mais sans jamais trahir le bon goût et la grâce. De là ces variétés de formes singulières, inattendues, bizarres, ces rhytons à têtes d’animaux, à têtes d’hommes, à doubles têtes, ces quadrupèdes, ces grillons, ces reptiles, ces fleurs, ces fruits transformés en motifs de vases. Quelle étrange manie ! Se moquent-ils de nous, ces céramistes ? se moquent-ils d’eux-mêmes ? Non, sous ces extravagances, partout vous retrouvez l’élégance et le style, parfois même les plus sérieux chefs-d’œuvre, témoin ce vase à double tête représentant Alphée et Aréthuse, délicieux contraste, adorables figures, profils dont la beauté ne serait pas vaincue par les plus pures médailles d’Athènes ou de Syracuse.

En face de cette vitrine on se sent à son aise, même en pensant à M. Guédéonov. Rien n’aide à supporter la richesse des autres comme d’avoir son coffre bien garni. Ici du moins nous rentrons