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emphase, par quelqu’un qui sait de quoi il parle, comment n’y pas ajouter foi ? Nous sommes donc rassurés sur ce point. Il y a dans ces milliers de vases autre chose qu’un splendide étalage ; il y a pour les savans matière, ample matière d’étude et de méditation. Cela suffit-il ? La céramique antique n’est-elle qu’un texte abstrait de problèmes archéologiques ? Cette délicate industrie qui dans le champ des créations plastiques est peut-être, après l’art monétaire, la part la plus entière et la moins altérée, nous dirions presque la plus vivante, de notre héritage des anciens, n’est-elle donc justiciable que de l’érudition ? Elle dépend aussi et tout autant d’un autre juge.

Entrez dans ces galeries où sont rangés en longues files ces quatre mille cinq cents vases ; n’ayez aucune notion d’archéologie céramique, aucun souci des provenances et des classifications ; ne vous intéressez à- ces vases ni parce qu’ils sont de façon corinthienne, à zones d’animaux superposés, ni parce qu’ils sont de style asiatique de telle ou telle antiquité, ni parce que la cuisson, la pâte ou la couverte vous révèlent qu’ils sortent de Nola, d’Arrezzo, de la Basilicate ou de tel autre lieu ; ne les distinguez que par la pureté, l’élégance, la noblesse des formes, l’harmonie des couleurs, la finesse du trait, le caractère du style, l’esprit et la beauté des figures et de la composition. Vous en avez le droit. L’art est ici dans son domaine, l’art livré à lui-même, sans autre auxiliaire qu’un goût plus ou moins sûr, plus ou moins exercé. Il y a donc deux manières également légitimes de juger la céramique, antique, la manière des savans, la manière des artistes, et comme le public, qui n’est pas plus artiste que savant, a cependant l’esprit plus accessible aux émotions de l’art qu’aux mystères de la science, il s’ensuit qu’une collection de vases doit faire d’autant plus d’effet et devenir d’autant plus populaire que l’art, abstraction faite de la science, y brille d’un plus grand éclat. Maintenant continuez votre course à travers cette forêt de vases. Vous en verrez sans doute, et presque par centaines, qui vous sembleront beaux, qui charmeront vos yeux par la noblesse ou par la grâce du style et des contours ; vous vous arrêterez, vous les admirerez, mais sans extase et sans ravissement. Ce sont des œuvres d’un grand mérite et d’un grand prix, seulement vous en avez vu à peu près de semblables dans tous les cabinets tant soit peu haut placés ; votre mémoire vous les rappelle. Il y en a d’aussi beaux, d’aussi parfaits au Louvre, il y en a parmi les antiques de la Bibliothèque impériale. Rien de hors ligne, rien qui défie toute comparaison. En un mot, cette supériorité que tout à l’heure M. de Witte nous révélait au nom de la science et que nous acceptions sur parole, nous ne la trouvons plus, nous la cherchons et n’osons pas la reconnaître, quand c’est au nom de l’art que nous devons parler.

Telle n’était pas, il y a cinq ans, l’impression que vous laissait la