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les principaux chefs de bandes un homme qui vit depuis longtemps à Naples, et qui a été le témoin oculaire de ce qu’il raconte : « Carmine Donatelli, de Roniero, surnommé Crocco, galérien évadé, trente délits, quinze vols qualifiés, trois tentatives de vol, quatre séquestrations de personnes, trois homicides, deux tentatives d’assassinat : Crocco a pris le titre de général ; — Vicenzo Nardi, de Ferrandina, connu dans les bandes sous le nom de colonel Amati, quinze vols, quatre assassinats ; — Michèle de la Rotonda, de Ripacandida, quatre vols, deux tentatives d’assassinat, deux séquestrations de personnes, lieutenant-colonel ; — le major Giuseppe Nicola Summa, trois vols qualifiés, deux tentatives d’assassinat, etc.[1]. »

Par les chefs, on peut juger des soldats ; tous portent le signe de reconnaissance envoyé de Rome, une bague de zinc avec cette devise : Fac et spera. Ils rançonnent indifféremment amis et ennemis, et n’ont point hésité à livrer au pillage les églises dont les prêtres étaient cependant venus les recevoir avec la croix et la bannière. Sous prétexte d’attachement à la dynastie tombée, ils travaillent pour leur propre compte et tâchent de s’enrichir. On peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’il n’y a aucune foi politique chez ces hommes, qui sont le rebut d’une société trop violemment remuée par des crises formidables ; ils font aujourd’hui la guerre à Victor-Emmanuel en criant vive François III comme ils feraient demain la guerre à François II en criant vive Victor-Emmanuel ! Pour eux le brigandage est un métier et l’attachement aux Bourbons un prétexte[2].

Aujourd’hui le brigandage tend à rentrer dans son état normal, c’est-à-dire à se réduire à quelques groupes de malandrins courant la campagne et vivant sur le paysan. Un de ces groupes occupe le Monte-Gargano, en Capitanate, province très propice aux débarquemens clandestins ; un autre apparaît de temps en temps dans la Basilicate ; un troisième parcourt les environs du Vésuve sous la conduite d’un certain Pilone, dont j’ignore le vrai nom, et rançonne volontiers les touristes qui s’éloignent trop imprudemment de Sorrento et de Castellamare. Enfin, sur la frontière septentrionale, Chiavone dirigeait, il y a quelque temps encore, plutôt qu’il ne commandait

  1. M. Marc Monnier, Histoire du brigandage dans l’Italie méridionale, p. 78-79 ; Paris 1862.
  2. Il est un homme cependant qu’il ne faut pas confondre avec les misérables dont je viens de parler. C’est Borjès, qui fut cruellement trompé par le principal meneur de la réaction bourbonnienne. Il fut honnête, convaincu, crut faire son devoir en acceptant la mission violente et dérisoire qu’on lui imposa ; il appartenait à un principe et voulut loyalement le défendre lorsqu’il le vit vaincu par le principe contraire ; il le dit lui-même dans son très curieux et très important journal : « Je tiens à ce que cet écrit parvienne à sa majesté, afin qu’elle sache que je meurs sans regretter la vie que je pourrais avoir l’honneur de perdre en servant la légitimité. »