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morne silence. On l’entendit. seulement prononcer ces mots, où il y avait encore plus de fureur que de repentir : « Mon Dieu ! mon Dieu ! qui aurait pu penser que ces hommes fussent si forts ? » La pensée de tous se reporta bientôt sur le prudent évêque, de Breslau, Jost de Rosenberg ; on rappela sa charité prévoyante, ses efforts pour le maintien de l’union, les outrages qu’il avait subis de la part d’une populace aveugle, et chacun s’empressait de faire réparation à sa mémoire. Dans une autre assemblée du même genre à laquelle assistait un des barons de la ligue, comme on évoquait le souvenir des jours heureux où George de Podiebrad gouvernait pacifiquement son royaume, un des seigneurs s’avisa de dire, suivant les superstitions de l’époque, que ces effroyables malheurs avaient été prédits depuis longtemps par la conjonction de deux planètes sinistres. « Eh ! que parles-tu des planètes du ciel qui ne fort de mal à personne ? s’écria le ligueur repenti ; s’il n’y avait pas eu dans Breslau deux planètes infernales (et il nommait par leurs noms les deux boute-feu de la ligue, Duster et Tempelfield), cette guerre n’aurait pas éclaté. Pourquoi Satan ne les a-t-il pas rappelés à lui il y a une vingtaine d’années ? Si nous sommes réduits à prendre un jour le bâton du mendiant, nous le devrons à ces planètes du diable. »

Catholiques et ligueurs avaient raison de se frapper la poitrine ; les férocités qui leur arrachaient de tels aveux se renouvelaient de jour en jour. Mathias Corvin, presque toujours vaincu en bataille rangée, évitait les actions décisives ; solidement établi dans son camp ou se portant d’un point à l’autre avec sa cavalerie rapide, il allait faire ses coups de main dans la plaine et revenait s’appuyer aux montagnes. Sa tactique se composait de surprises, d’embuscades, car il ne voulait que prolonger la guerre, espérant lasser à la fin la patience du peuple tchèque et désoler l’âme paternelle du roi. Mathias avait visé juste ; atteint dans son pauvre peuple, le roi de Bohême était frappé au cœur. Ce noble George voulut en finir, et loyalement, chevaleresquement, il adressa un cartel à Mathias. Plusieurs de ses barons, munis de saufs-conduits, pénétrèrent dans le camp du Magyar et lui parlèrent en ces termes : « Sire, notre roi et seigneur, pour arrêter cette horrible effusion de sang chrétien, vous provoque à un duel à mort en présence des deux armées. Équipés de la même façon, les mêmes armes à la main, les deux champions auront à combattre sur un terrain circonscrit dont nul ne pourra sortir, car vous êtes plus agile que le roi notre maître, et ce n’est point à la course qu’il prétend vous défier. Si Dieu condamne notre maître et vous donne la victoire, vous disposerez de son sort ; si vous êtes vaincu, il aura le même droit sur vous. » Le roi de Bohême, prévoyant le cas où Mathias Corvin n’accepterait pas ce cartel, demandait au moins une grande bataille entre les deux armées, une