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a profité de l’armistice pour établir une armée permanente et organiser une sorte de landwekr. Le roi de Hongrie, moins assuré de ses forces, puisqu’il combat en pays ennemi, est obligé de faire appel aux plus féroces passions de la soldatesque. Jamais peut-être, en ces luttes sans merci, on ne vit plus de cruautés que dans cette dernière campagne. L’armée hongroise comptait des régimens irréguliers qui n’avaient d’autre solde que le pillage, et comme si cela n’eût pas suffi pour irriter leurs instincts féroces, il y avait une récompense particulière pour chaque tête coupée qu’apportaient ces bandits. Le 29 juin 1470, après la sanglante bataille de Goding, dont le succès demeura indécis, un corps d’armée hongrois, ayant surpris un convoi de Bohémiens, les massacra jusqu’au dernier. Cinq cent quatre-vingt-cinq têtes coupées furent présentées le soir même au roi de Hongrie. Mathias ordonna de les placer sur des balistes et de les jeter dans le camp des Bohémiens. O grande spectaculum ! s’écrie sans autre émotion le chroniqueur silésien Pierre Eschenloer, historien et complice des fureurs de Breslau.

L’indignation qui soulevait le cœur du roi George s’emparait cependant peu à peu des catholiques eux-mêmes. En face de ces barbares qui frappaient amis et ennemis avec une fureur égale, les plus fanatiques champions du saint-siège commençaient à éprouver des remords. Ils s’accusaient d’avoir mal jugé les choses ; l’anathème qu’ils avaient appelé sur le roi n’était-il pas retombé sur leur tête ? Ces hordes féroces déchaînées par eux contre les schismatiques de Bohême n’étaient-elles pas le fléau de Dieu qui châtiait leurs propres iniquités ? Le même chroniqueur que nous venons de citer, Pierre Eschenloer, nous a conservé sur ce point des détails singulièrement expressifs. Le 26 décembre 1469, en installant un nouvel abbé dans un des monastères de la Silésie, le légat Rodolphe de Lavant, naguère l’intraitable ennemi du roi de Bohême, se mit à parler des affaires publiques, et confessa, les larmes aux yeux, que le saint-père avait été mal informé sur le compte de George de Podiebrad. « Moi-même, ajoutait-il, si j’avais su dès mon arrivée à Breslau tout ce que j’ai su plus tard, jamais je n’eusse permis cette guerre abominable. Ceux qui en ont la responsabilité devant Dieu et devant les hommes ont charge leur âme du plus grand des péchés. » Il fit ensuite tout un discours animé d’une tristesse éloquente pour prouver qu’il était non-seulement permis, mais ordonné de vivre fraternellement avec les hérétiques ; l’œuvre la plus urgente à ses yeux, et il engageait tous ses auditeurs à y travailler sans relâche, c’était de préparer au plus tôt la conclusion de la paix. Parmi ces auditeurs se trouvait le docteur Tempelfeld, un des prédicateurs populaires qui avaient le plus soufflé le feu de la haine au cœur des Silésiens. Accablé par les reproches du légat, il gardait un