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aussi longtemps que les hérétiques séjourneraient dans ses murs ; ils se retirèrent aussitôt, évitant comme leur maître tout ce qui pouvait envenimer les passions. George, toujours fort de sa loyauté, demanda une entrevue au légat ; le légat, décidé à ne rien entendre, rejeta la demande de George. Tel fut le résultat de la convention de Wilimow, telle fut la récompense du roi de Bohême et le prix de sa généreuse imprudence. Nous pouvons nous représenter sa colère quand il sut peu de temps après que Mathias Corvin violait si effrontément sa parole et qu’il avait accepté la couronne des Tchèques. On prétend que d’abord il se contenta de sourire avec dédain. « Il y a des princes, disait-il, qui prennent le titre de roi de Jérusalem, et qui de leur vie ne mettront le pied en Palestine ; c’est de cette façon-là que Mathias sera roi de Bohême. » Bientôt cependant, mieux informé des perfidies de Mathias Corvin, il reprit l’offensive avec une vigueur terrible. Le temps des ménagemens était passé. Saisi de cette indignation que toute félonie inspire aux âmes de race noble, il était impatient de se venger. Était-ce un sentiment de vengeance personnelle ? Non, certes, mais le sentiment de la justice publique. Après les condescendances du roi chrétien, le grand justicier se réveillait.

Avant de recommencer la guerre, il prit une résolution digne de son cœur héroïque et véritablement royal. Il avait désiré l’autorité souveraine pour sauver sa religion et sa patrie. Simple chef de fédération, lieutenant du royaume, coadjuteur de Ladislas, roi élu par les états et consacré par l’acclamation populaire, il n’avait eu qu’une pensée, le salut de tous, la restauration religieuse et politique de la Bohême. Cette œuvre accomplie après vingt années de travaux, il la voyait menacée de ruine aujourd’hui par toutes les passions que le souverain pontife déchaînait contre sa personne. Le patriotisme qui lui avait fait désirer le pouvoir ne lui conseillait-il pas maintenant de céder la place à un chef plus heureux ? Il serait beau pour lui de descendre du trône aussi généreusement qu’il y était monté. S’il avait pu servir la Bohême en lui donnant une dynastie de rois nationaux, avec quelle joie il eût laissé le sceptre à ses fils ! L’établissement de cette dynastie devenant au contraire une source de malheurs pour la chose publique, son devoir était d’y renoncer. Le sort de ses enfans était assuré : sa fille était mariée à l’un des plus nobles princes de l’empire ; ses fils, rentrés dans le sein de la nation tchèque, y seraient toujours honorés en souvenir de leur père. Ainsi parlait dans son héroïque candeur ce Washington du XVe siècle, et après avoir religieusement délibéré avec lui-même, après avoir informé sa famille, ses amis, les conseils de l’état, de la résolution qu’il venait de prendre, il donna la couronne de Bohême au fils du roi de Pologne. Il la lui légua du moins après sa mort, car il voulait