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était placé à côté du trône de Paul II, à côté, mais fort au-dessous, de façon que la téte de l’empereur fût au niveau des pieds du pontife. À la messe, tandis que le pape officiait avec la triple couronne, l’empereur, en simple costume de diacre, lisait modestement l’épître. Si le pape montait à cheval, l’empereur lui tenait l’étrier. On peut lire tous ces détails et bien d’autres dans le programme du maître des cérémonies, messire Augustin Patricio, de Sienne, qui le publia en latin pour l’édification de son temps. La chose fit si grand bruit, que Mathias Corvin, au milieu de son camp, ne tarda point à l’apprendre. Il devina ce qui se tramait contre lui, et bien qu’il n’eût pas à redouter une trahison de Paul II au commencement de la guerre, il voulut que Frédéric III s’éloignât de Rome au plus tôt. Frédéric, avec ce mélange de bonhomie et de ruse qui est le trait dominant de son caractère, lui avait confié le gouvernement de l’Autriche pendant son pèlerinage à Rome ; une insurrection des états, excitée sous main par le redoutable coadjuteur, obligea l’empereur de regagner précipitamment ses états. Digne couronnement de cette singulière campagne : Frédéric III avait humilié l’empereur sans rien obtenir pour le duc d’Autriche.

Cependant la guerre continuait toujours avec des chances diverses. Au milieu des villes prises et reprises, des pillages, des coups de main, des embuscades, au milieu des mille détails d’une lutte où chaque jour la tuerie recommence, il y a un fait qui domine tout, c’est la résistance obstinée de la Bohême. Mathias Corvin, si fier de sa victoire de Trébisch, et qui avait promis à Paul II d’aller saisir le roi George, dans son château de Prague, commençait à s’effrayer d’une entreprise qui lui coûtait tant d’hommes et d’argent. Chaque fois que le roi George pouvait quitter la ville pour le théâtre de la guerre, Mathias était obligé de battre en retraite. Le roi de Bohême était cependant en proie aux infirmités les plus graves. Son corps, fait pour l’action, s’était alourdi dans les travaux de la paix ; depuis qu’il avait cessé de vivre à cheval et l’épée à la main, son sang épaissi avait enflé ses membres, et une obésité maladive semblait condamner le héros à ne déployer désormais que l’ardeur de son esprit ; mais l’âme, maîtresse du corps, le forçait d’obéir. Une fois transporté en face de l’ennemi, George faisait son métier de capitaine sans se soucier de la fatigue. Son coup d’œil était toujours aussi sûr, ses combinaisons aussi justes, et l’armée, se sentant aux mains d’un chef supérieur, courait au feu avec un enthousiasme irrésistible. Un jour il réussit à enfermer Mathias dans une gorge de montagnes près de la petite ville de Wilimow. Le froid était des plus vifs, la neige couvrait les monts, et le roi avait fait occuper toutes les issues du défilé. Tandis que Mathias cherchait vainement à se dégager, les Bohémiens arrivaient de toutes parts, et l’armée royale,