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dette envers vous. Nous ordonnons que vos biens soient confisqués. Déchus de tous les droits de l’homme libre, vous serez esclaves du croisé qui s’emparera de votre personne, et vos enfans, esclaves comme vous jusqu’à la quatrième génération, naîtront et mourront dans le même opprobre. Vous, prêtres catholiques de Bohême et de toutes les contrées allemandes, vous lirez cette bulle chaque dimanche dans vos églises, vous prononcerez nominativement et publiquement l’anathème contre ceux qui ne se soumettront pas sans délai, et s’il en est un seul parmi vous qui néglige d’exécuter cet ordre, la même malédiction est sur lui ! » Une seconde bulle, en date du même jour (20 avril) octroyait des indulgences plénières à tous ceux qui prendraient les armes contre George, ou qui, ne pouvant combattre eux-mêmes, équiperaient un soldat à leur place. Ces deux bulles avaient été répandues dans toute la chrétienté et particulièrement en Allemagne. Aussitôt de nouvelles bandes de croisés allemands se jetèrent sur la Bohème, mais ce furent surtout les Hongrois de Mathias Corvin, qui, absous d’avance de leur férocité par l’horrible impiété du pontife, portèrent en tout lieu le pillage et la mort. Les catholiques eux-mêmes n’échappèrent point à leurs fureurs. Contre nous ou pour nous, telle était leur devise. On faisait un crime aux laboureurs, aux pâtres des montagnes, de ne pas s’être soulevés contre l’homme qui depuis vingt années assurait le travail et le repos de leurs familles. Bien plus, des couvens, des hôpitaux, longtemps à l’abri sous la main paternelle du roi George, furent souillés par d’effroyables attentats. Les religieuses violées, les vieillards massacrés, les autels pillés, attestaient que les haines de race se joignaient au délire du fanatisme, et, que toutes les passions déchaînées à la fois transformaient les soldats magyars en bêtes fauves. « Est-ce là une guerre de Dieu ? s’écrie un des amis du roi dans un dialogue célèbre[1]. Ah ! plût au ciel que ce fût une guerre de Dieu ! On ne verrait pas tant de brigandages, d’assassinats, d’incendies, de saintes maisons détruites, de saintes filles outragées. Était-ce une guerre de Dieu, quand les abbayes de Choteschau, de Tepler, respectées jadis dans les plus horribles tempêtes des guerres civiles, ont été mises par vous à feu et à sang ? Les taborites, en leurs fureurs, n’ont jamais rien accompli de pareil. Et que dire des nobles femmes livrées toutes nues à la risée de vos soldats, des enfans

  1. Disputatio baronum Behemioe : Zdenkonis de Sternberg, Wilhelmi de Rabie, Johannis de Schwanberg et Johannis Rabensteinii, de bello contra regem Georgium 1467 moto, scripta a Johanne de Rabenstein anno 1459. Cette dispute, qui eut lieu pendant une trêve entre des amis et des adversaires du roi George, fut rédigée immédiatement par un des interlocuteurs, Jean de Rabenstein, catholique resté fidèle à sa patrie. C’est un des plus curieux documens que nous possédions sur l’état de la Bohême pendant les premières années de la guerre. M. Wilhelm Jordan en a publié le texte latin ; M. Palacky en a donné deux traductions, l’une en tchèque, l’autre en allemand.