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n’étaient en mesure de soutenir la cause de Rome, et les princes de l’empire donnaient à Podiebrad l’appui de leur témoignage unanime. Il fallait pourtant que la sentence pontificale fût exécutée. « Notre situation devenait ridicule, écrit le cardinal de Pavie, Jacques Piccolomini, dans le récit qu’il a tracé des délibérations du saint-siège. Quoi ! prononcer la déchéance d’un roi qui continuerait à régner ! attaquer à coups de paroles un ennemi qui répondrait par les armes ! Indécis, troublés, nous hésitions, quand le cardinal Carvajal, homme d’une haute sagesse et inflexible adversaire de l’hérétique, raffermit subitement les courages. Voyant le sacré collège ébranlé, il s’écria : « Pourquoi mesurer tout à la mesure des choses humaines ? Ne laisserons-nous aucune part à Dieu en des affaires si graves ? Puisque ni l’empereur, ni le Hongrois, ni le Polonais ne nous viennent en aide, le ciel même, croyez-moi, combattra pour nous et renversera l’impie. Faisons notre devoir, Dieu fera le sien[1]. »

D’après le témoin que nous venons de citer, l’impression de ces paroles fut immense au sein du sacré collège. On craignit sans doute de la laisser s’affaiblir. C’est le 21 décembre que le vieux cardinal imposait à Dieu le devoir de servir la politique romaine ; deux jours après, la condamnation définitive du roi de Bohême était prononcée par le pape en consistoire extraordinaire. Environ quatre mille personnes étaient réunies dans l’enceinte. Toutes les formes solennelles furent minutieusement observées. Après le discours de l’avocat du consistoire, après le rapport du procureur de la foi, le pape envoya un archevêque et trois évêques sur les balcons du Vatican, avec ordre d’appeler à haute voix George de Podiebrad ou son représentant et de l’amener dans la salle. Les prélats rentrèrent bientôt, annonçant que personne n’avait répondu à l’appel. Alors le pape prit la parole ; malgré tous les témoignages contraires produits par les princes de l’empire, par les évêques et les fidèles de Bohême, il accusa le roi d’avoir opprimé les catholiques de ses états, et chargea le cardinal vice-chancelier de proclamer le jugement. Nous savons d’avance ce que ce jugement va contenir, nous savons aussi dans quels termes il sera conçu. George de Podiebrad, qui se dit roi de Bohême, y est appelé fils des ténèbres, hérétique, relaps, protecteur d’hérétiques, parjure, brigand, spoliateur de l’église, et déclaré digne de toutes les peines que la loi pontificale inflige à de pareils crimes. Tous ses titres de roi, de margrave, de prince, toutes ses dignités, tous ses pouvoirs, tous ses droits lui sont enlevés à jamais. Ses descendans sont déclarés incapables de revêtir aucune dignité, de recueillir aucun héritage ; ses sujets sont déliés de tous leurs sermens envers lui. Telle était la sentence, formulée déjà au mois d’août, prononcée illégalement dans la précipitation de la colère, et

  1. Scriptum grave et quantum genius sœculi paliebalur, imo supra sœculi ingenium elegans. Müller, Reichstags-Theatrum, t. II, p. 250-258.