Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

placé sur le trône. Si quelqu’un ose rendre à l’hérétique, à l’impie, à l’ennemi de Dieu, les devoirs qui ne sont dus qu’aux rois chrétiens, qu’il soit anathème ! »

C’est alors qu’une pensée extraordinaire, une pensée où l’enthousiasme se mêle au désespoir, traversa un instant l’imagination du roi George. Il savait bien qu’il était chrétien de cour et d’âme. Puisque le saint-siège, sur un point de détail, et sur un point consacré par les représentans de toute l’église, s’obstinait à le chasser de la grande communauté chrétienne, qu’il serait beau d’obliger la chrétienté à juger de sa foi par ses services ! Le pape Pie II, malgré son héroïsme, n’a pu entraîner l’Europe à la croisade ; s’il partait, lui, avec ses vieilles bandes chrétiennes, s’il levait un homme sur dix dans sa Bohême guerrière, s’il lançait sur l’Ottoman cette formidable masse, s’il détournait contre les barbares de l’Asie, cette guerre qu’on l’oblige à soutenir contre ses frères d’Europe, s’il allait conquérir dans Constantinople une couronne plus éclatante que celle des Ottocar, la couronne d’Orient, la vraie couronne du saint empire, car c’est dans Byzance régénérée que siégerait à l’avenir, le défenseur des chrétiens… Quels rêves pour une âme chevaleresque ! Mais quoi ! renoncer à la Bohême, à cette patrie tant aimée, à ce trône où l’ont appelé les acclamations du peuple aux heures les plus belles de sa vie ! Non, l’Europe récompenserait son libérateur en assurant la couronne de Bohême à l’un de ses enfans ; un autre de ses fils serait archevêque de Prague ; le pape, heureux de l’expulsion des Turcs, se prêterait aux concessions mutuelles qui éteindraient à jamais les vieilles haines.

Tel était le rêve grandiose du roi George. Ce fut plus qu’un rêve. Il est certain que ces conditions inattendues furent soumises à Paul II par l’entremise du duc de Bavière. Dans l’absence de documens directs, c’est par la réponse du pape que l’histoire a retrouvé cet épisode. Pie II, avec son imagination si vive, aurait senti à la lecture de ce projet une sorte d’éblouissement ; il aurait été ravi, touché, il eût cédé peut-être. Paul II, on le pense bien, n’y verra qu’une ruse diabolique, les cardinaux souriront avec dédain : « Demander une récompense, quand nous lui ordonnons la soumission et le repentir ! Demander la direction de la croisade, le commandement de la chrétienté, la couronne de l’empire d’Orient ! Autant vaudrait confier au diable l’explication de l’Évangile, autant vaudrait mettre le poignard aux mains du meurtrier. Il y aura, grâce à Dieu, d’autres moyens de vaincre le Turc que de placer l’Antechrist à la tête des armées du Christ. » Quant à la nomination du fils de George comme archevêque de Prague, le sacré collège n’a pas de peine à démontrer que le prétendu roi de Bohême ignore tous les règlemens canoniques. Ajoutez quelques avertissemens ironiques,