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il pressent de nouveaux ennemis qui s’approchent, et déjà sur son propre sol la guerre civile a commencé.

George de Podiebrad était bien un souverain du XVe siècle : il voulait chez lui une royauté forte et débarrassée des liens du système féodal ; seulement il n’avait pas eu besoin de ruser comme Louis XI, de faire et défaire mille trames dans les ténèbres, comme l’empereur Frédéric III. Porté au trône par une révolution, investi de la dictature au nom de la patrie en danger ; il avait eu de pleins pouvoirs dès le premier jour. Chaque atteinte portée par lui à l’ancien régime aristocratique était un coup frappé sur l’anarchie qu’il avait mission de vaincre. Une fois son œuvre accomplie, le roi George fut le premier des souverains modernes. Plus de privilèges féodaux entravant la libre action de l’état, plus de morcellement de territoire ; d’un bout du royaume à l’autre, une même administration, une même loi faisait régner cet ordre, cette sécurité, cette vie régulière et puissante qui avaient excité, nous l’avons vu, l’admiration de Martin Meyr, et qui firent la force de la Bohême au milieu des troubles de l’empire. Les parlemens convoqués dans les circonstances graves étaient des assemblées nationales qui pouvaient diriger le roi, l’éclairer, l’avertir, mais non affaiblir son pouvoir et servir l’ambition de la noblesse. Les seigneurs n’y dominaient plus : même avant l’élection de Podiebrad, la révolution hussite, brisant les portes des anciens conseils, y avait poussé les représentans des villes et du peuple. Les grands du pays, qui se considéraient naguère comme les ministres-nés de la couronne, avaient désormais besoin d’autres titres pour prétendre à la direction des affaires. Le roi George choisissait ses conseillers selon ses vues. Il n’avait pas craint d’appeler à lui des étrangers, des Allemands, et de braver les préjugés nationaux, dans l’intérêt de l’état. En un mot, il régnait, il gouvernait sans autre contrôle que celui de l’opinion : système bien incomplet sans doute, mais qu’il ne faut pas juger d’après les droits que nous ont acquis tant de progrès, tant de luttes et de victoires, tant de révolutions légitimes ; système nécessaire dans une période de transition, et non-seulement nécessaire, mais glorieux, tant que le chef chargé de cette dictature reste en communauté de sentimens et d’idées avec le peuple qui abdique entre ses mains. Tel était le prestige du roi George ; jamais dictateur n’avait mieux senti battre au fond de son cœur le cœur de la patrie.

On ne s’étonnera pas cependant qu’il eût encore plus d’un adversaire à redouter. La noblesse, réduite à l’impuissance, n’avait pas abjuré ses rancunes, et la guerre déclarée au roi par le pape venait réveiller ses espérances. Quelle occasion propice aux rebelles ! quel moyen de cacher des haines politiques sous le drapeau de la foi, et de transformer de petits tyrans dépossédés en martyrs de la religion