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L’intérieur offre un plus triste aspect de destruction. Les quatre divisions des gradins de l’amphithéâtre, qui pouvaient permettre à quatre-vingt mille spectateurs d’entourer une arène de deux cent-quarante ares, ont passé par un commencement de démolition, et montrent à nu les massifs de briques jadis couverts de blocs de pierre qu’on a pillés deux siècles durant. On n’en voit plus qu’au faîte de l’enceinte, là où l’extraction en eût été trop pénible et trop dangereuse. La perte de ces profils concentriques ôte beaucoup à l’effet monumental, et l’imagination a besoin d’abandonner la pensée des beautés de l’art pour la mélancolique impression du spectacle des ruines. Les formes accidentées de la destruction, les teintes variées et chaudes que le ciel du midi imprime à la vétusté des matériaux, la végétation même que le soleil et la pluie ont développée dans les fissures de tant de décombres, les lointains qui par de larges embrasures se montrent dans ces déserts de Rome prolongés jusqu’à ses murailles, la hardiesse émouvante des crêtes sur lesquelles on va chercher ce spectacle unique, compensent et au-delà la jouissance plus simple et plus sereine attachée à la contemplation des œuvres exquises du génie de l’homme. Si, comme on n’en saurait douter, le Colisée est parmi les antiquités romaines celle qui frappe les voyageurs le plus puissamment et leur laisse les plus vifs souvenirs, c’est qu’aucune ne réveille à la fois plus de sensations et d’idées contrastantes, associées pour produire une émotion morale de l’ordre de celles qui prêtent le plus à la poésie ; mais assez d’autres ont décrit le charme sévère de cette ruine grandiose à la lueur solitaire d’un ciel étoile et le cours des rêveries du voyageur perdu dans l’immensité de ses débris. Tantôt doré des splendeurs d’un calme soleil, tantôt rougi des flammes subites de l’orage, tantôt tacheté de clair et d’ombre par la lumière bleuâtre de la lune, le Colisée a été, de la main des poètes ou des peintres, offert au regard de l’imagination. De Corinne à Childe-Harold, on peut se rappeler quelles fortes images et quelles réflexions saisissantes le talent a puisées à cette source qui ne tarira pas. Tant que ces pierres resteront debout, l’être le plus fermé aux émotions de commande retrouvera à leur aspect quelque chose de ce qu’on a senti avant lui ; mais il n’en voudra rien dire pour ne pas répéter ce qui a été trop bien dit et ce qui s’affaiblit en se répétant.

L’amphithéâtre des Flaviens fut inauguré par Titus avant d’être fini, et il remplissait cette vallée en carrefour qui sépare le Palatin, le Célius et l’Esquilin. Sur le premier de ces monts, Auguste et ses successeurs, fidèles à une pensée qui datait de Romulus, avaient placé la demeure des césars, et sur le dernier, Titus, bouleversant la Maison Dorée de Néron pour en approprier à des usages populaires