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et fait vendre du poisson dans le portique d’Octavie. Enfin dans les parties les plus dégagées, dans le Forum, là où du temps d’Évandre, du temps de la sibylle, les taureaux mugissaient et les vaches paissaient les palais herbus[1], la barbarie moderne combinant le vulgaire et l’utile, a : établi un marché aux bœufs.

Carpite nunc, tauri, de septem montibus herbas.


Certes Virgile et Tibulle ne le prévoyaient pas, cet infâme Campo Vaccino, cette esplanade inégale, poudreuse ou fangeuse, où, parmi des arbres rabougris entre-croisés de cordes pavoisées de linge salé, les bœufs de boucherie, à certains jours de la semaine, pétrissent leur fumier sous leurs pieds. Un terrain de plâtras et d’immondices pèse d’une épaisseur variable jusqu’aux environs du Colisée sur les débris ensevelis de ce quartier de temples et de palais, où se sont agitées les destinées du monde.

De cette vaste sépulture de ruines, il n’est guère sorti que cette malencontreuse colonne de Phocas debout à l’entrée de la place, et sur la droite, en face, la Basilica Julia, ouvrage du temps d’Auguste, dont l’aire immense et pavée de marbre a été à moitié mise au jour par les travaux de Louis Canina. C’est encore au pape Pie IX qu’il faut en rendre grâce. C’est, avec les beaux travaux de la voie Appienne, la seule chose importante qu’on ait entreprise depuis Pie VII. Les trois colonnes sur la même ligne qui viennent ensuite, ces colonnes si belles et tant de fois citées comme les modèles de l’ordre corinthien, avaient longtemps passé pour dépendre du temple de Jupiter Stator. Elles sont devenues transitoirement un fragment de la græcostasis où le sénat faisait attendre les ambassadeurs et que nous avons laissée plus près du Capitole ; puis elles sont remontées au rang de fragmens du temple de Castor et Pollux, et maintenant l’autorité de Bunsen leur fait espérer l’honneur d’appartenir à Minerva Chalcidica. Elles seraient alors du siècle d’Auguste, dont elles sont dignes ; mais M. Ampère tient à conserver au culte des Dioscures ce qu’il regarde comme le plus bel ornement du Forum. Nous nous sommes ainsi rapprochés de l’arc de Titus, le plus petit, mais non le moins élégant des arcs de Rome, un peu nu dans sa tunique de marbre rapiécée çà et là en pierre de travertin, mais qui s’en dédommage par les sculptures plaquées aux parois internes de son unique porte. Je veux parler de ces bas-reliefs si éminemment historiques, la seule œuvre de l’antiquité, je crois, qui transporta Jérusalem dans le monde païen. La table d’or, les vases sacrés et le chandelier à sept branches nous sont ainsi parvenus dessinés de la main du vainqueur.

  1. Pascebant herbosa palatia vaccæ. Tibul., II, 5.