Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/1010

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelles de l’intelligence qui créent une apparence trompeuse, le secret de l’art n’est point devenu le partage de tout le monde, et le talent vrai, sérieux, est toujours une chose exceptionnelle et rare. Entrer dans les mêlées du temps avec un esprit armé d’instruction et de goût, avec une manière de parler et de sentir indépendante, avec une raison ferme et vive qui ne s’égare pas au sein des dispersions du jour, avec un amour juste et sincère des lettres uni à un sentiment politique très aiguisé, c’est là ce qui peut faire un écrivain véritable, un publiciste d’élite. C’est l’assemblage de ces qualités qui fait le charme et l’intérêt de ces pages que M. Prévost-Paradol lie en faisceau sous le titre d’Essais nouveaux de politique et de littérature. C’est sa moisson des derniers temps. L’unité n’est point certes dans la combinaison de fragmens si divers, écrits sur des sujets le plus souvent fournis par les circonstances; elle est dans le mouvement d’un esprit brillant et fin qui va de la révolution française, de Tocqueville ou de Macaulay, à Aristophane, à Spinoza ou à la duchesse de Bourgogne, parcourant toutes les sphères en gardant toujours sa sève, son originalité et sa bonne grâce. Écrire des pages de tous les jours en y laissant le reflet qui les fait survivre, l’éclair de sentiment et de raison qui les colore, c’est là justement la marque de l’écrivain véritable qui se retrouve même dans des fragmens.

Les Essais de M. Prévost-Paradol sont d’un esprit vif, dégagé et courant, qui ne se perd pas dans les spéculations et dans les systèmes; il exprime plutôt sur toute chose et sous une forme rapide ce sentiment éclairé et naturel qu’on croit presque avoir éprouvé parce qu’il devrait être celui de tout le monde, de tous ceux qui pensent et qui sentent. Un des caractères de l’écrivain, on le lui a dit et il le dit lui-même, c’est qu’il ne sépare pas la politique de la littérature. C’est en homme formé à l’amour des lettres et toujours retenu par ce cher lien des premières études, des premières préférences, qu’il aborde la politique, qu’il se mêle aux polémiques du temps. On sent en lui le lettré à l’élégance correcte de son langage, à la souplesse ingénieuse de ses mouvemens et de son ironie, comme aussi, lorsqu’il semble n’être qu’un critique, un analyste littéraire, on sent toujours l’esprit libéral noblement préoccupé de tout ce qui s’agite autour de lui, des destinées morales et politiques d’une société cherchant la liberté à travers les révolutions. Même quand M. Prévost-Paradol revient vers l’antiquité et trace une série d’esquisses sur Aristophane, Démosthène, Xénophon, Sénèque, c’est toujours le contemporain qui voit son siècle à travers les siècles écoulés, un contemporain libéral et lettré. De là le tissu élégant et ferme de ces fragmens où il y a quelquefois de l’émotion, souvent de l’ironie, et toujours une jeunesse grave qui ne se désintéresse pas du mouvement du monde dans les frivolités de la littérature, qui se sert d’une sérieuse culture littéraire comme d’une arme de plus dans la politique. Par tous les dons de son talent, l’auteur des Nouveaux Essais est assurément un de ceux qui sont le mieux faits pour intéresser et charmer les esprits en les éclairant.


CH. DE MAZADE.