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les causes de la France et de l’Espagne. Dans ce grand trouble de tous les intérêts et de toutes les relations qui suivit le traité d’Utrecht, Dubois comprit que la paix était une nécessité pour la France, et que pour la maintenir il fallait chercher un point d’appui en Angleterre. Dans un intérêt de paix, il fut l’un des promoteurs et le principal négociateur de l’alliance anglaise, système qui a reparu plus d’une fois depuis dans la politique. Si l’on cherche en effet les origines et les traditions de l’alliance anglaise dans le sens moderne, Dubois apparaît comme un des ancêtres de cette idée. Dubois eut raison d’Alberoni, qui s’en alla vivre dans la disgrâce et l’exil, abandonné du roi d’Espagne, qui l’avait fait premier ministre, et du pape, qui l’avait fait cardinal, tandis que le fils du médecin de Brives mourait en 1723 dans la plénitude de son pouvoir. Une chose est certaine, c’est que, dans sa carrière d’homme d’état, Dubois n’a pas fait tout le mal qu’on lui a prêté, et qu’il a fait du bien qu’on a dissimulé ou défiguré, restant d’ailleurs humain et bienveillant. Et cependant on sait où en est restée l’opinion sur son compte. Ses ennemis ont triomphé, de son vivant et après sa mort, de celui qui triompha de tout pour lui-même. On peut dire qu’il a épuisé toutes les grandeurs humaines sans arriver à la considération qu’il cherchait. Voilà le problème, plus moral encore que politique, qui se dégage de cette existence singulière, aussi bien que de ce livre où l’auteur, M. de Seilhac, avec une conviction raisonnée, avec des documens nouveaux, fait éclater une fois de plus cette disproportion entre le grand rôle d’un homme et la réputation qu’il laisse. M. de Seilhac peut n’être que juste sur certains points, et il éclaire plus d’une partie de la vie de Dubois. Si le cardinal reste encore si difficile à réhabiliter complètement, c’est qu’avec des talens réels, sans être un parvenu vulgaire ni un bouffon, Il lui arriva trop souvent de faire de la politique une intrigue, de mêler son ambition personnelle à ses calculs de gouvernement, et d’intéresser tous les appuis extérieurs ou intérieurs à sa propre élévation; c’est qu’il pourrait bien rejaillir sur lui quelque chose de ce mot que Voltaire disait de l’abbé Mongaut : « Il ignorait que c’est par le caractère, et non par l’esprit, que l’on fait fortune. » Et pour ces politiques qui deviennent les conducteurs des hommes, faire une véritable fortune, ce n’est pas seulement avoir le succès du jour, le crédit que donnent les honneurs et les dignités, c’est s’assurer une place durable dans l’estime et dans le souvenir du monde.


CH. DE MAZADE.


Nouveaux Essais de Politique et de Littérature, par M. Prévost-Paradol[1].

Dans un temps où les conditions intellectuelles se sont si profondément transformées avec la société tout entière, il y a un phénomène qui trompe bien souvent. Parce que le domaine de la vie littéraire s’est prodigieusement étendu, parce que le nombre des œuvres et de ceux qui se servent d’une plume s’est singulièrement multiplié, on est tenté de croire que l’art est devenu plus facile et qu’il y a plus d’écrivains qu’il n’y en eut jamais. C’est la plus étrange des illusions. Il n’est pas plus facile aujourd’hui qu’autrefois d’être un écrivain véritable. Au milieu de toutes ces applications

  1. 1 volume in-8o, chez Michel Lévy, 1862.