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cardinal Dubois. Voilà, si je ne me trompe, ce qu’on peut appeler une de ces mauvaises réputations bien établies, universellement acceptées. Que n’a-t-on pas dit et que n’a-t-on pas cru de ce personnage mal famé qui, un jour de l’année 1672, partait de sa petite ville de Brives la bourse vide, le cœur léger, l’esprit vif et ambitieux, pour arriver chemin faisant aux premières dignités de l’état comme à la première dignité de l’église, et qui a fini par expier sa fortune sous les mépris de l’histoire! Précepteur et conseiller du duc d’Orléans qui fut le régent, il aurait été le bouffon, le vil complaisant des débauches de son élève et de son maître ; abbé, il aurait dégradé son caractère par l’indignité de sa vie et de ses mœurs; premier ministre, il se serait fait pensionner par le roi d’Angleterre. On l’a, je crois, accusé de tout, excepté d’être cruel et de n’être pas homme d’esprit, et la robe rouge de cardinal ne l’a pas sauvé. Il s’arrangea si bien pendant sa vie qu’à sa mort, tout prince de l’église qu’il était, il put à peine obtenir un tombeau à Saint-Roch, un tombeau inavoué qui n’est plus qu’un monument avec une inscription effacée où l’on ne distingue point le nom du cardinal. Sous le dernier règne, son image fut bannie d’une galerie de portraits des personnages qui furent autrefois les hôtes du Palais-Royal. Sa ville natale seule lui est restée fidèle. Un jour, il y a vingt ans, elle demanda son tombeau : on le lui refusa. En un mot, l’opinion en est restée sur Dubois à cette impression d’un vrai diable en barrette qu’on ne peut honorer qu’en l’oubliant.

La destinée de l’abbé Dubois fut-elle donc de ne mêler que de grands vices à une habileté suffisante pour arriver à un grand pouvoir dans un temps de corruption? N’est-ce qu’un parvenu vulgaire, un coureur d’intrigues et un familier de débauches, furtivement introduit dans cette famille de cardinaux hommes d’état, entre Richelieu et Fleury? C’est ce que conteste M. le comte de Seilhac dans un livre qui semble fait pour remplacer le monument que la ville de Brives n’a pu élever au cardinal, et cette réhabilitation difficile, il l’a tentée à l’aide de lumières nouvelles, avec des documens manuscrits ou inédits, des lettres jusqu’ici inconnues de la Palatine, mère du régent, des papiers de la famille de Dubois, et enfin des mémoires de l’abbé d’Espagnac, compatriote du cardinal, homme de considération et de science, qui ne mourut qu’en 1781. C’est une œuvre sérieuse, bien intentionnée, appuyée sur des témoignages qui ont leur valeur et leur intérêt. Je ne sais si cette réhabilitation fera de Dubois un saint et un grand homme aux yeux de tout le monde. Dans la légende dont son nom est resté entouré, il est du moins des choses qui doivent disparaître comme dos inventions apocryphes. Et d’abord il n’était pas né d’un apothicaire de Brives-la-Gaillarde, comme on le disait pour rabaisser sa naissance : son père était médecin, et il tenait par sa mère à une famille de noblesse du pays. Il y a aussi beaucoup à rabattre de cette vie de bohème qu’il aurait menée avant son élévation, tantôt passant par la domesticité, tantôt contractant des mariages clandestins et se signalant par toute sorte de bouffonneries. Dubois partait de Brives à seize ans, en 1672, pour venir profiter à Paris d’une bourse qui lui avait été accordée au collège Saint-Michel. C’est là qu’il fit sa philosophie et sa théologie, gagnant l’amitié du principal du collège, M. Faure, qui était vicaire-général de l’archevêque de Reims, et