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vivant à la campagne. Ce qui revient toujours, parce que c’est le véritable sujet, c’est le spectacle de ce village où tant d’institutions utiles, créées spontanément, forment entre tous les habitans des liens étroits et confondent en quelque sorte les conditions. Lynmore n’est pas sous ce rapport un village privilégié; ce qu’on y trouve se reproduit sur presque tous les points de l’Angleterre. Partout la classe supérieure travaille avec dévouement à secourir le peuple, à l’instruire, à le moraliser, et partout le peuple, relevé à ses propres yeux par ces associations où il contribue lui-même à son bien-être, se montre reconnaissant pour cette bienfaisance ingénieuse.

Plein d’une juste admiration pour ce qu’il a sous les yeux, notre Français jette de temps en temps un coup d’œil sur son propre pays et regrette de n’y rien voir de pareil : observation juste à beaucoup d’égards, mais qui n’est pas exempte d’exagération. Il est fort louable assurément de nous montrer ce qui peut être pour nous en Angleterre un bon modèle à suivre; mais il ne faudrait pas en conclure que nous manquions nous-mêmes de semblables exemples, et surtout il serait injuste d’accuser les classes aisées. Les institutions de bienfaisance ne manquent pas à la France, Dieu merci, et si elles n’y ont pas pris tout à fait le même développement qu’en Angleterre, notamment dans les campagnes, c’est qu’elles n’y rencontrent point partout les mêmes conditions. Rien n’est plus délicat et plus difficile que la comparaison entre deux pays qui se* ressemblent si peu; les mêmes mots n’y représentent pas toujours les mêmes choses.

Le théâtre et les personnages, tout est différent. Les paroisses anglaises sont en général un peu plus petites que nos communes, et beaucoup plus peuplées. La campagne proprement dite a plutôt moins d’habitans, mais le bourg ou village où se réunit la population agglomérée a presque partout l’importance de nos chefs-lieux de canton. On y exerce tous les métiers et tous les petits commerces. Les simples journaliers gagnent des salaires doubles des nôtres, et les artisans, les petits commerçans, ayant plus de pratiques, font plus de bénéfices. On s’en aperçoit au premier abord à l’air de propreté des habitations, même les plus humbles. Des fleurs et des plantes grimpantes ornent l’extérieur; l’intérieur contient un petit mobilier commode et bien tenu. Entrez à l’heure du repas : vous trouverez un ordinaire modeste, mais sain, un peu de viande, des pommes de terre, du pain blanc, du laitage, de la bière, du thé. Tout devient plus facile avec une population ainsi condensée qu’avec une population aussi rare et aussi dispersée que la nôtre.

Ce qui diffère le plus, c’est la distribution de la propriété. En Angleterre, toutes les terres de la paroisse appartiennent à un petit nombre de familles, et, comme elles rapportent en moyenne deux fois plus qu’en France, les principaux possesseurs jouissent d’un revenu considérable. Chez nous, une portion notable du sol appartient à une foule de petits cultivateurs, une autre portion forme le lot des propriétaires moyens, qui s’élèvent à peine au-dessus des premiers; ceux qui passent pour riches ont de 5 à 10,000 fr. de revenu, abstraction faite des exceptions, et, s’il s’en trouve deux de ce genre dans une commune, c’est beaucoup. Heureux quand ces revenus, si faibles qu’ils soient, ne sont pas réduits encore par des charges hypothécaires! Rarement d’ailleurs les propriétaires tiennent au sol par de pro-