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penseur que son imagination défend de la fatigue, que la variété de ses impressions relance à chaque instant, que ses sympathies de tout genre entraînent à réfléchir sur les sujets les plus divers, et qui, dans toutes ces excursions partielles, garde toujours l’entrain d’une véritable inspiration. Si l’on aime mieux, c’est un esprit qui pense souvent et qui a beaucoup d’idées plutôt qu’un de ces esprits qui embrassent d’un seul coup tout l’horizon, ou qui, par une série obstinée d’efforts, font entrer toutes leurs connaissances et leurs forces dans chacune de leurs conclusions. — La métaphysique et la psychologie de M. Smith sont loin d’avoir l’étendue de la nature humaine, elles n’ont même pas l’étendue de sa propre nature. Dans ses idées, il n’a pas tenu compte de mille instincts qui se manifestent dans ses sentimens ; il y a conflit entre le poète et le penseur.

Mais ayant de nous préoccuper des épines, nous avons plus d’une fleur à cueillir. L’œuvre de M. Smith est fort décousue ; elle ressemble moins à un livre qu’à une collection de notes, et je ne conseillerais à personne d’imiter l’auteur ; mais de la part d’une nature à la fois pensive et réfléchie comme la sienne, le défaut de forme est presque une qualité, parce qu’il est une vérité de plus. M. Smith nous raconte qu’un soir, accoudé au petit pont d’un village qu’il veut nommer Gravenhurst, et l’esprit encore tout rempli, d’un entretien sur les horreurs de la guerre de l’Inde, il se surprit en face d’un beau coucher de soleil à méditer péniblement sur l’antique problème du bien et du mal. Pendant plusieurs mois, les mêmes pensées continuèrent à l’obséder et à jeter leur reflet ou leur ombre sur tout ce qui l’entourait. Les arbres, la rivière, les enfans jouant dans la prairie semblaient sans cesse faire allusion l’objet de ses préoccupations. Le village entier de Gravenhurst, était tourmenté par le problème du bien et du mal. Avec ses amis, la conversation revenait si naturellement et si souvent sur le même sujet, qu’il eut l’idée de jeter sur le papier quelques-unes de ces causeries. C’est donc par une description de Gravenhurst qu’il ouvre son livre : il retrace les incidens et les objets qui ont été ses muets collaborateurs, puis il continue par une exposition de sa propre philosophie, pour terminer par des dialogues qui ont réellement tant de laisser-aller, que, pour ma part, je les accepte volontiers comme des souvenirs d’entretiens réels.

Je regrette de ne pouvoir donner une idée du joli sentiment qui respire dans toute la partie descriptive. Il y a peu de traits saillans qui puissent se détacher, car, pour peindre, ce village de Gravenhurst, nous dit l’auteur, je ne puis employer que des mots qui s’appliqueraient tout aussi bien à des centaines d’autres villages en Angleterre. Ce n’est en effet qu’un village tout ordinaire, tout banal ; tant mieux peut-être pour moi, qui me propose de rechercher ce