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les défigure et en tire mille conséquences forcées. L’âme est active par essence, dit-il ; soit, mais qu’est-ce que cela prouve ? Apparemment l’activité de l’âme n’est pas sans limites. Jusqu’où s’étend-elle ? A quoi s’applique-t-elle ? C’est à l’expérience de le dire. Le savant auteur a senti sans doute le faible de son premier argument ; et il a cru le renforcer par une addition ; très notable, il est vrai, mais très compromettante. L’âme, suivant lui, n’est pas seulement une activité ; cette définition, est trop générale. L’âme est une activité essentiellement motrice[1]. Je rappellerai peut-être tout à l’heure cette définition à l’auteur, qui parait l’avoir complètement oubliée à la fin de son livre, quand il s’applique à faire voir que sa théorie ne compromet nullement l’existence indépendante de l’âme et la possibilité d’une vie future ; à l’heure qu’il est, je me borne à lui faire remarquer que sa définition est complètement arbitraire. Comment l’auteur sait-il que la puissance locomotrice fait partie essentielle de l’âme humaine ? Est-ce là une donnée de l’observation ? En fait, l’âme est capable de mouvoir certains organes, et je consens à admettre qu’elle exerce ce pouvoir d’une manière assez constante, quoique non rigoureusement continue, puisque devant le sommeil, surtout quand il est profond[2], tout semble indiquer que l’âme a suspendu son effort locomoteur ; mais enfin, le pouvoir de l’âme sur les muscles étant un pouvoir très borné d’une part et très mystérieux de l’autre, il est assez naturel de croire que ce pouvoir résulte, non pas de l’essence de l’âme, mais de sa condition présente, du rapport momentané qui enchaîne l’être pensant à des organes matériels et périssables. De quel droit l’auteur affirme-t-il que l’âme est par essence une activité motrice ? C’est sans doute qu’il croit avec Stahl que l’âme non-seulement meut certains organes, mais les gouverne tous ; il croit qu’elle agit sur le corps, non pas seulement durant la veille, mais durant le sommeil, qu’il est dans sa nature de vivre dans un corps, de se faire des organes et de leur donner le mouvement et la vie. En d’autres termes, l’auteur est stahlien : il pose en principe une définition de l’âme toute stahlienne. Et pourquoi cela ? Pour démontrer la thèse de Stahl. Serait-il trop dur d’appeler pétition de principe une telle manière de raisonner ?

  1. Du Principe vital, etc., p. 24.
  2. C’est une délicate question de psychologie de savoir si le sommeil interrompt jamais complètement la pensée et la conscience. Voyez, sur cette question et sur beaucoup d’autres, un livre de M. Alfred Maury plein d’observations qui ont l’avantage précieux d’avoir été faites par l’auteur sur l’auteur lui-même avec une parfaite bonne foi scientifique (le Sommeil et les Rêves, études psychologiques, par M. Maury, de l’Institut ; 1 vol. in-12, chez Didier).