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personnelle, le hardi comédien rentrait dans le droit public. Le roi de Bohême était-il informé de ces grands mouvemens de l’église de France en 1463 ? Savait-il que nos parlemens condamnaient de nouveau les empiétemens de la théocratie au nom de cette pragmatique sanction, abolie naguère, qui se rattachait par le concile national de Bourges au concile œcuménique de Constance ? Préoccupé comme il l’était de sa lutte contre Rome, il est impossible qu’il ait ignoré de tels événemens. On peut même affirmer qu’il en connaissait tous les détails lorsqu’on voit auprès de lui le grand légiste Antoine de Marini, ancien conseiller du roi de France. Quoi qu’il en soit, c’est au commencement de l’année 1464,que le roi George, après avoir mûri ses plans, envoie une ambassade à Louis XI.

Dans le tableau si savant, si original où M. Michelet fait revivre la France de Louis XI, l’éminent historien, arrive à l’année 1465, nous montre le roi isolé par ses fourberies et ses violences en face de la réaction féodale qui se dresse dans l’ombre si tristement isolé qu’il s’en va quêter au loin des alliances singulières. « Louis XI voyait venir la crise, et il se sentait seul, seul dans le royaume, seul dans la chrétienté. Il fallait qu’il sentît bien son isolement pour aller chercher, comme il le fit, l’alliance lointaine ; du Bohémien et de Venise, alliance contre le Grand-Turc, assez bizarre dans, un pareil moment ; mais en réalité, si les affaires n’eussent marché trop vite, le Bohémien eût probablement attaqué le Luxembourg, Venise eût fourni des galères. » Les découvertes de M. Palacky nous permettent de compléter le récit de l’écrivain français et d’ajouter une page intéressante à notre histoire du XVe siècle. Ce n’est pas Louis XI qui a recherché en 1465 l’alliance du Bohémien, pour l’employer à quelque coup de main contre le duc de Bourgogne. Le Bohémien c’est-à-dire le roi George, avait envoyé des ambassadeurs à Louis XI dès l’année 1464 pour lui proposer cette grande chose : l’organisation d’une nouvelle Europe.

L’ambassade partit de Prague le 16 mai 1464. Elle, avait pour chefs le sire Albert Kostka de Postupic, frère de celui que nous avons déjà vu à Rome, et le jurisconsulte Antoine de Marini. Quarante personnes, environ, secrétaires et gentilshommes, les accompagnaient. Homme d’étude autant qu’homme de guerre, Albert Kotska était considéré comme le premier diplomate du royaume. Il n’y avait pas à la cour de Bohême un esprit plus fin, plus cultivé, un grand seigneur d’une vie plus élégante et plus noble. Il était hussite de naissance, mais sans nul fanatisme. La double communion n’était pas pour lui un dogme rigoureux, et il croyait volontiers que l’autre manière de pratiquer la cène contenait la même vertu divine. Très disposé à s’entendre sur ce point avec les catholiques, il remplissait les meilleures conditions pour s’unir à eux contre la théocratie romaine.