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le tuteur du jeune prince ; bien plus, si Maximilien lui-même n’atteignait pas sa majorité, l’héritier de ses états (Autriche, Styrie, Carinthie), ce serait encore Podiebrad ; à l’exclusion du duc Albert et de tous les princes autrichiens. Ces quatre journées de Kronenburg furent comme la fête de l’amitié. Les deux souverains ne se quittaient pas ; ils vivaient de la même vie, mangeaient et chassaient ensemble. Frédéric, si prudent, si cérémonieux, avait oublié toutes les lois de l’étiquette impériale : quand il prit congé du roi le 8 décembre, il se jeta le premier dans ses bras.

On devine l’irritation de Pie II à mesure que les événemens de l’Allemagne agrandissent le rôle du roi de Bohême. Il va jusqu’à nier les services rendus à l’empereur parle roi, et c’est à l’empereur lui-même qu’il s’efforce de persuader qu’il est dupe. « Le rusé Bohémien, écrit le rusé Sylvius, aurait pu t’épargner ces humiliations en se portant plus vite à ton secours. Il a voulu que tu ne fusses ni complètement vaincu ni complètement vainqueur. Sa politique est de perpétuer les guerres civiles en Autriche, afin d’y apparaître en médiateur et de tromper tous les partis. Dieu te garde de tomber jamais aux mains de l’hérétique ! » La colère aveuglait ici cette intelligence ordinairement si fine ; Pie II connaissait mal la politique loyalement hardie de son adversaire. Au lieu de ces misérables intrigues en Autriche qu’il lui impute bien à tort, les plus vastes projets occupaient le génie de Podiebrad. Assuré pour quelque temps au moins que le pape ne peut soulever l’Allemagne contre lui, il sait aussi que la situation peut changer, que l’empereur est une âme versatile, que Pie II est actif, infatigable, opiniâtre, que le point d’honneur pontifical ne lui permettra jamais de reculer, et que la lutte, un instant suspendue, éclatera un jour infailliblement. Il sait tout cela, il songe à l’avenir, et reprenant son projet, d’un grand parlement de rois, d’une grande ligue des états chrétiens contre la théocratie romaine, il travaille avec ardeur à l’accomplissement de son rêve. Pendant toute l’année 1463 on voit que cette préoccupation ne le quitte pas. C’était précisément l’époque où Louis XI, s’apercevant enfin du tort causé à la France par l’abolition, des libertés gallicanes, remettait en vigueur les doctrines du concile de Bourges et invoquait de nouveau la pragmatique, comme s’il ne l’avait pas déchirée avec componction dans une comédie sacrilège. Se démentir ainsi à deux ans de distance, après une scène comme celle-là, c’était un peu fort, même pour Louis XI ; mais la lutte était si vive entre l’église de France et les prétentions théocratiques de Pie II, le clergé, les parlemens, la nation tout entière protestaient si énergiquement contre le despotisme de Rome, que ce rétablissement indirect de la pragmatique dut paraître à toute l’Europe, et peut-être aussi à Pie II, la chose la plus naturelle du monde. Il se trouva qu’en violant sa parole