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l’inertie, il souriait dans sa barbe en pensant que tel ou tel de ses puissans vassaux, par déférence pour son titre, ne demanderait pas mieux que de soutenir le poids de la guerre. Il faut connaître ce caractère bizarre, ce mélange de ruse, de ladrerie, d’insouciance apparente, d’impassibilité calculée, pour comprendre les témérités de sa conduite. Cette opposition dont il s’inquiétait si peu avait fini par s’étendre des seigneurs aux bourgeois, des états aux communes. Le chef des mécontens était son propre frère, le duc Albert d’Autriche. Sa bonne ville de Vienne, jusque-là si fidèle, venait de se soulever à son tour. Que lui reste-t-il dans ce désarroi général de ses états héréditaires ? Il lui reste l’empire, l’empire, qu’il ne connaît point, où il n’a jamais paru, dont toutes les affaires lui sont indifférentes, il faut pourtant qu’il ait un point où rallier ses amis, en attendant les secours qu’il va solliciter. Il part de son château de Neustadt avec une petite armée, et se dirige sur Vienne pour arrêter l’insurrection. À cette nouvelle, la ville est en feu, on se prépare pour une lutte à mort, et l’empereur, qui n’a eu que le temps de se jeter dans la forteresse avec sa famille et une poignée de serviteurs, s’empresse de licencier son armée, croyant apaiser la tempête. Malheureusement il a renvoyé ses troupes sans leur payer leur solde : les soldats veulent se venger sur les bourgeois et menacent de piller la ville ; mais bientôt bourgeois et soldats s’unissent contre l’empereur enfermé dans son fort. C’est alors que Frédéric III envoya demander l’assistance du roi de Bohême. De leur côté, les bourgeois de Vienne, apprenant que George de Podiebrad allait accourir avec ses terribles bandes, firent prévenir aussitôt leur chef naturel, le duc Albert d’Autriche.

Frédéric III, malgré son inertie, montra qu’un sang royal coulait dans ses veines : il se battit vaillamment sur la brèche. L’impératrice elle-même, assistée de ses enfans, fit si bien son devoir, que la petite troupe des assiégés, enflammée par son exemple, put résister pendant plusieurs jours à un ennemi bien supérieur en nombre et attendre les secours du roi George. Le duc Albert était arrivé à Vienne le 2 novembre (1462) avec tout un cortège de seigneurs révoltés, ce qui portait à vingt mille hommes l’armée de l’insurrection. Le 14, le roi George est au bord du Danube avec sept mille soldats, et son armée, grossie chaque jour par des renforts arrivés des divers points de la Bohême, s’élève bientôt à vingt-deux mille combattans.

Nous n’avons pas à raconter ici les péripéties de la lutte : disons seulement que, le 4 décembre, l’empereur et sa famille, réduits à toute extrémité par le froid et la faim, purent sortir de cette forteresse, où une mort certaine les attendait. Le prince Victorin, accompagné des premiers seigneurs de Bohême, alla leur ouvrir les portes