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du saint sacrement, qui devient une profanation entre leurs mains ; sinon, devant Dieu et devant les hommes, vous n’échapperez point à la honte du parjure. » À ces mots, le roi ne put s’empêcher d’interrompre l’orateur, prenant Dieu et sa conscience à témoin que jamais, et envers qui que ce fût, il n’avait violé son serment. « Il ne vous appartient pas, répliqua Fantin, d’interpréter ce serment à votre guise. C’est à celui qui l’impose, non à celui qui le prête, d’en fixer le sens et la portée. » Le roi répondit avec calme : « Dans les choses de conscience, je ne reconnais personne ici-bas pour, mon juge. — Voulez-vous donc braver l’autorité du saint-siège ? reprit impétueusement le légat. Prenez garde : le pape ne laissera aucune révolté1 impunie, et ses coups portent loin, ne l’oubliez pas. Quelle est la source de tous les pouvoirs de la terre ? Qui donne aux rois leurs couronnes, aux prélats leurs privilèges, aux universités, leurs franchises ? Celui qui confère les droits peut aussi les retirer. » La mission du légat était finie ; en jetant cette menace au roi de Bohême, il quitta l’assemblée.

Aussitôt le roi prit la parole : « Vous l’avez entendu, barons, chevaliers, bourgeois, peuple de Bohême ! Vous qui nous avez nommé votre protecteur, votre roi, on vient vous dire que ce n’est pas à vous, mais à un étranger, de choisir le roi de ce pays ! Cet homme a osé toucher à notre honneur ! S’il n’était pas l’envoyé du pape, je jure Dieu que cette heure serait la dernière de sa vie. L’honneur, mes amis, je l’ai toujours placé au-dessus de tous les biens d’ici-bas : a-t-on jamais vu sur ce trône un seul manquement à l’honneur comme il y en a eu de toute sorte sur le siège romain ? Mais Fantin recevra son châtiment, et nous espérons que vous tous, en fidèles sujets, vous ressentirez l’insulte faite à l’honneur de votre roi ! » Après avoir donné ce libre cours à son indignation, il revint avec plus de calme à l’exposé des choses publiques. L’intérêt le plus urgent était d’écarter les orages qui pouvaient fondre de nouveau sur le royaume. Le roi, des les premières nouvelles de Rome, s’était déjà mis à l’œuvre ; il apprit aux députés que le comté palatin Frédéric et le duc Louis de Bavière offraient leur médiation entre la Bohême et le saint-siège. Il promit de réunir encore les états, d’invoquer encore leur appui ; leurs conseils, et la séance fut levée.

Quand on sut ce qui s’était passé aux états, une formidable agitation se répandit dans la ville. On ne pouvait supporter l’idée que le légat du pape, en pleine séance royale, eût traité d’hérétiques tous les calixtins de Bohême. Si le roi n’avait annoncé la punition de Fantin, l’émeute eût éclaté. Les amis du légat lui conseillaient de fuir ; mais lui, fier de l’impression qu’il avait produite, sentait redoubler son audace. Soit qu’il eût confiance dans la modération du roi, soit qu’il ne craignît pas le martyre, il resta ferme à son