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un autre peuple réclame aussi son autonomie religieuse, et, acceptant le dilemme de Pie II avec cette logique résolue que les Italiens s’étonnaient de ne pas rencontrer chez les hussites, il n’hésite pas à déchirer l’église. Si le système des hussites et des gallicans avait triomphé au XVe siècle, l’histoire aurait suivi un autre cours : l’église allemande eût pris sa place sans troubles, sans déchirement, comme l’église de Bohême et l’église gallicane, au sein du christianisme universel.


IV

Les ambassadeurs de Bohême partirent de Rome le 3 avril et arrivèrent à Prague vers la fin du mois de mai. Un courrier dépêché par eux avait déjà porté au roi la terrible nouvelle : les titres de l’église nationale étaient anéantis par le pape. Dire la douleur et la colère de George, c’est chose impossible. Il vit là un coup de mort pour la patrie, et lui-même le ressentit au cœur. Se soumettre, pouvait-il y penser ? À part la question d’honneur et de foi, c’eût été se perdre aux yeux de tout un peuple et déchaîner la révolution cette révolution furieuse, hideuse, qu’il avait domptée à force de vigueur et de sagesse. Entrer en lutte avec le pape, quel péril ! La croisade allemande allait peut-être se former de nouveau contre la Bohême. De quelque côté qu’il dirigeât ses regards, l’avenir était menaçant. Toutefois il n’hésita point. Sans rien faire pour précipiter la lutte, il l’attendit de pied ferme La seule politique à suivre, c’était de tenir pour nulle et non avenue la sentence du 31 mars, de veiller comme par le passé à l’exécution des compactats et d’être toujours prêt à parer le coup du saint-siège. Ce n’est pas tout : la prévision de cette rupture inévitable lui inspire subitement une pensée audacieuse et grandiose. Il conçoit le plan d’une nouvelle Europe. Le pape et l’empereur, dans la hiérarchie du moyen âge, sont les tuteurs du monde chrétien ; George de Podiebrad a l’ambition d’émanciper les peuples et les rois. Il veut organiser une vaste ligue d’états dont l’indépendance n’aura plus rien à redouter ni du pape ni de l’empereur. S’il réussit, ce sera toute une révolution ; le moyen âge aura reçu le coup de mort, et la société moderne atteindra en naissant le but que lui a marqué la Providence. Immense et périlleuse entreprise ! il faut la mûrir en silence, il faut en préparer les voies avec une stratégie consommée. Il sera long et pénible, le siège de la vieille forteresse ; en attendant l’heure d’investir la place, le roi George s’empresse de rassurer ses sujets. Il convoque les états dans le palais même le 8 août 1462, impatient de s’expliquer avec le pays simplement et à cœur ouvert sur la situation qui lui est faite.