Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/938

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mais ce serment n’est qu’au nom du roi, s’écria Pie II ; il est d’usage de le prêter au nom de tout le royaume. » Alors le chancelier, se tournant vers Kostka : « Que faire ? dit-il à voix basse. Je puis prêter ce serment pour les miens (les catholiques), car je suis sûr de leur adhésion ; à toi de décider ce que tu dois faire pour les tiens ! — Prête serment au nom de tous, répondit Kostka. La nation et le roi marchent d’accord ; ce que le roi trouve bon, la nation l’approuvera. « Le chancelier prêta le serment d’obédience au nom du roi et du royaume de Bohême. » Maintenant, dit le pape, si vous avez quelque chose sur le cœur, parlez. » C’était le signal de la lutte, c’était l’occasion prévue et désirée qui allait provoquer la sentence.

Un des députés du roi George, un de ceux qui n’avaient pas encore paru dans les conférences particulières, maître Wenceslas Koranda, représentant plus particulier des croyances religieuses du peuple tchèque, entra en lice pour la justification de ses frères, et demanda, au nom des compactats, que les partisans de la double communion ne fussent plus regardés comme des hérétiques. Il s’exprimait d’abord en suppliant, il parla bientôt en accusateur. Sa voix retentissante, les paroles qui se précipitaient de ses lèvres (voce sonora, torrenti oratione) révélaient, avec la fermeté de sa foi, l’irrésistible élan d’une pensée longtemps contenue qui vient de rompre ses freins. Il raconta l’histoire de Bohême sans trouble, sans remords, rapportant au contraire à l’assistance du Père, du Fils et du Saint-Esprit tout ce que le peuple tchèque avait entrepris et exécuté. Qui avait inspiré à ses frères l’ardent amour de la vérité évangélique ? Qui les avait protégés contre tant d’ennemis ? Qui avait détruit avec une poignée d’hommes de si nombreuses armées ? À Dieu seul en revenait la gloire. Et ces Tchèques, toujours vainqueurs, comment avaient-ils profité de leur triomphe ? Ils avaient tendu la main aux pères du concile de Bâle pour arrêter l’effusion du sang ; ils avaient accepté comme roi et seigneur le plus cruel de leurs ennemis, l’empereur d’Allemagne, Sigismond, ne lui demandant, en échange de la couronne de Bohême, que le respect des compactats. Sigismond avait juré de respecter cette grande charte ; ses successeurs l’avaient juré aussi. Le nouveau roi avait prêté le même serment, et, gouvernant d’après cette loi sainte, il donnait à la Bohême des jours de paix et de bonheur que les vieillards du pays ne se souvenaient pas d’avoir jamais connus. O bénédiction de Dieu ! mais bénédiction troublée par les violences des hommes ! « De toutes parts, ajoutait l’orateur, la ruse et la calomnie nous enveloppent. Le roi et le peuple sont outragés. On nous appelle schismatiques, sectaires, fauteurs d’hérésies, et on affirme impudemment que c’est l’opinion du saint-siège, comme si de ce foyer d’amour pouvait sortir l’œuvre de haine. Nous n’avons opposé à nos ennemis que notre patience, car les compactats