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Rabstein et Kostka de Postupic, de l’autre les cardinaux Bessarion, Carvajal et Nicolas de Cuse. Le cardinal Carvajal, qui présidait ce jour-là, se contenta de développer l’allocution prononcée la veille par le saint-père ; les deux envoyés ne purent que persister dans leur réponse, et l’on se sépara sans avoir avancé d’un seul pas. Le 16 mars, ce fut le cardinal Bessarion qui reçut les envoyés. Rabstein prit la parole pour justifier son maître. « On lui reproche, disait-il, de suivre les processions de Rokycana ; il suit également les processions de la cathédrale. » Rabstein ajoutait : « Vous savez qu’il y a deux sortes de chrétiens en Bohême, et que notre maître est le roi de tous. S’il se déclarait pour les uns, les autres l’abandonneraient. » Alors le cardinal Bessarion, rappelant aux envoyés bohémiens la cérémonie de la veille, je veux dire l’abjuration solennelle du roi de France et l’anéantissement de la pragmatique, ne craignit pas de prononcer ces incroyables paroles : « Vous savez pourtant qu’il y a cent et un évêques en France, et de riches abbés, et des prélats puissans. Tout le clergé s’opposait de toutes ses forces à cette résolution du roi ; mais le roi a voulu, le clergé a cédé. Aussi vous avez vu quels honneurs lui ont été rendus dans la journée d’hier. Que le roi de Bohême imite le roi de France ! Il sera fêté aussi magnifiquement. » Ainsi l’indépendance de l’esprit, de la conscience, de la foi vis-à-vis des puissans de la terre, ce principe tant de fois invoqué par le saint-siège, c’était le saint-siège qui le sacrifiait. Le saint-siège disait à l’église gallicane : « Rendez à César ce qui est à Dieu ! »

Cet exemple d’un pays comme la France pouvait bien toucher le chancelier Procope ; il fallait d’autres argumens pour vaincre la résistance des envoyés hussites. Le 19 mars, l’ami du roi George, Kostka de Kostupic, fut mandé seul auprès du pape. Là, en présence du cardinal Nicolas de Cuse et de quelques évêques, Pie II s’efforça de prouver à l’ambassadeur bohémien que les compactats n’avaient plus aucune valeur, ayant été faits seulement pour une génération qui avait disparu de la terre. L’argument était hardi dans la bouche d’un pape. Il y a donc des décisions du saint-siège qui peuvent être révisées, modifiées, supprimées, car elles ont été prises pour une génération et ne conviennent point à une autre ! Appliquez cela au culte, aux institutions, à tel ou tel dogme, c’est toute une révolution dans le catholicisme. Les pontifes du moyen âge, dans la plénitude de leur foi, ont souvent de ces hardiesses-là. Un pape moderne, nécessairement plus timoré, craindrait, en parlant ainsi, d’ébranler les voûtes de l’édifice. Un autre argument, moins élevé, moins hardi, mais de nature plus italienne, fut développé ensuite par Pie II. « Ces compactats, disait-il, on ne les a octroyés aux hussites que pour vaincre leur opiniâtreté et rétablir plus promptement