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croyez peu nombreux ; détrompez-vous. Il y a dans les contrées voisines bien des peuples dont les sentimens sont les nôtres, et qui n’attendent pour se lever que l’heure où nous serons entrés en campagne. Vous savez ce qui s’est passé naguère : si le pape est sage, il ne nous forcera pas, en nous disputant les libertés que nous avons conquises, à en conquérir de plus grandes. On ne refuse guère à la puissance des armes ce qu’on est souvent tenté de refuser au bon droit. Peut-être certaines gens vous bercent-ils de brillantes espérances : ils mettront sur pied des armées formidables, ils vous conduiront triomphans en Bohême, ils sauront vous frayer une route jusqu’à nous, le fer et le feu à la main… Ah ! croyez-moi, je connais les habitudes et les forces de nos voisins ; si j’avais à conseiller le saint-père, je le supplierais de ne pas toucher aux compactats. » Ainsi parle Podiebrad dans les dépêches d’Æneas Sylvius ; que serait-ce si nous avions quelque récit de cet entretien composé par Podiebrad lui-même ? Il n’eût pas dissimulé sans doute son antipathie pour le négociateur : quoi ! l’homme qui lui opposait durement le veto de l’église romaine, l’homme qui foulait aux pieds un des actes les plus solennels du concile de Bâle, c’était celui qui avait pris une part si ardente à l’opposition de l’illustre assemblée ! C’était l’adversaire d’Eugène IV, le secrétaire du concile, le secrétaire de Félix V ! Un tel souvenir devait révolter l’âme loyale de George, et il eut besoin de sa prudence consommée pour n’en rien laisser paraître sur son visage. Quant à Æneas Sylvius, quoique la modération du vice-roi lui eût inspiré, dit-on, certaines espérances pour l’avenir, combien de fois, après son exaltation au pontificat suprême, a-t-il dû méditer les fermes paroles qu’on vient de lire !

Pendant les deux premières années du pontificat de Pie II, il est évident que le roi de Bohême et le pape, sans être directement en lutte, se préparent au combat, ou du moins essaient de s’intimider l’un l’autre. Si le roi George va au secours de l’empereur, s’il s’attache les princes allemands par des alliances, s’il prend une position souveraine au sein de l’empire et songe à devenir le coadjuteur de Frédéric III, ce n’est pas seulement pour consolider son trône, c’est pour faire reculer l’ennemi, dont il connaît les desseins et les ruses. Pourquoi, d’un autre côté, le pape Pie II est-il si empressé à détruire tout ce qui reste du concile de Bâle ? Parce qu’il veut isoler le roi de Bohême, c’est-à-dire l’enfermer dans une hérésie où l’obliger de se soumettre. Il sait que Podiebrad ne cédera pas facilement sur l’article des compactats ; mais il sait aussi que le roi de Bohême est une âme loyale, sans haine, sans fanatisme ; il n’ignore pas non plus que ce fier soldat avoue son ignorance en théologie, et il espère ébranler sa foi en frappant un grand coup.

Ce grand coup, ce sera l’anéantissement suprême et solennel du