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que le pape Nicolas V accueillait magnifiquement en Italie après la prise de Constantinople. C’est à ce moment-là même que le vieux pontife le nomma cardinal. Toutefois, s’il est impossible de ne pas admirer l’esprit de Sylvius, que dire des rôles si différens qu’il a joués dans les luttes politiques et religieuses du XVe siècle ? Notre vieille université de Paris, espèce de concile permanent au milieu des désordres de la chrétienté, jugeait sans ménagement sa versatilité. Le pieux historien de cette grande école est l’interprète fidèle des sentimens de ses ancêtres quand il écrit ces lignes à propos de l’avènement de Pie II : « Tout le monde sait quelle étonnante différence s’est trouvée entre Æneas Sylvius et le pape Pie II. Æneas Sylvius, secrétaire du concile de Bâle, prit part à tout ce que cette sainte et généreuse assemblée fit de plus vigoureux contre la cour de Rome. Le même homme devenu pape agit avec emportement contre la pragmatique sanction, formée des décrets de ce concile. Il n’est point de mon sujet de discuter ces démarches si contradictoires et leurs motifs. J’observerai seulement qu’il lui aurait mieux convenu de garder au moins quelque modération à l’égard de ceux qui continuaient à penser comme il avait pensé lui-même, et que son zèle amer contre ses anciens sentimens n’était pas propre à lui faire honneur[1]. »

Si l’université de Paris jugeait ainsi Pie II, on devine l’opinion qui régnait en Bohême. George de Podiebrad, à l’époque où il était lieutenant du royaume, avait eu avec Æneas Sylvius, évêque de Sienne, une conférence célèbre que ce dernier lui-même a racontée longuement dans ses lettres. Æneas Sylvius s’y était montré à la fois théologien et diplomate ; George, avouant son ignorance théologique, avait parlé au nom du bon sens politique avec une loyauté simple et hardie. » Trois choses nous séparent, avait dit l’évêque de Sienne : les compactats dont vous réclamez en vain l’exécution, puisque l’église romaine n’en veut plus, les confiscations de biens ecclésiastiques accomplies par vous sur plusieurs points de la Bohême, enfin votre entêtement à réclamer pour archevêque de Prague ce Rokycana, que le pape, sachez-le bien, ne reconnaîtra jamais. » Sur la question des biens confisqués et même sur celle de l’archevêque de Prague, le vice-roi ne voyait pas de difficultés insurmontables ; quant aux compactats, il avait répondu sans hésiter : « Les compactats violés, c’est la guerre, la guerre à outrance. Plus de paix, plus de trêve possible. Une fois que nous aurons pris les armes, vous aurez beau nous rappeler les traités qui ont terminé nos anciennes luttes, nous ne les reconnaîtrons plus. Quels traités invoquer après avoir porté la main sur le pacte fondamental ? Vous nous

  1. Crevier, Histoire de l’Université de Paris, tome VI.